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Théodore… On pourrait même refaire quelques scènes de Pompée, de Sertorius, des Horaces et en retrancher d’autres. Ce serait à la fois rendre service à la mémoire de Corneille et à la scène française qui reprendrait une nouvelle vie. Cette entreprise serait digne de votre protection (il s’adresse au duc de La Vallière) et même de celle du ministère. » C’est l’idée même de l’abbé de Saint-Pierre et l’on voit si Voltaire met de la chaleur à la faire sienne. Remarquez encore qu’ils ne font autre chose, ceux qui de nos jours adaptent les œuvres d’Euripide et de Sophocle en en changeant l’esprit pour les mettre à la hauteur du nôtre, tenant compte du progrès de la raison et du perfectionnement du goût, comme l’abbé de Saint-Pierre le recommandait si judicieusement.

Sur l’art ou plutôt contre l’art, l’abbé de Saint-Pierre a des idées analogues et qui le font se rencontrer exactement avec Proudhon. A propos de Colbert, il dira dans ses Annales politiques : « Il vit que les Italiens s’étaient perfectionnés dans la peinture et dans la sculpture par des académies où… Cela le détermina à établir une pareille académie à Paris. La peinture, la sculpture, la musique, la poésie, la comédie, l’architecture, prouvent les richesses présentes d’une nation. Elles ne prouvent pas l’augmentation et la durée de son bonheur ; elles prouvent le nombre des fainéans, leur goût pour la fainéantise qui suffit à entretenir et à nourrir d’autres espèces de fainéans, gens qui se piquent d’esprit agréable mais non pas d’esprit utile ; ils veulent exceller sur leurs pareils ; mais ils se contentent sottement d’exceller dans des bagatelles… Qu’est-ce présentement que la nation italienne où ces arts sont portés à une haute perfection ? Ils sont gueux, fainéans, paresseux, vains, poltrons, occupés de niaiseries. Ils sont devenus, peu à peu, par l’affaiblissement du gouvernement, les misérables successeurs de ces Romains si estimables… »

Il avait aussi ses idées, qui n’étaient point banales, mais qui ont eu moins de succès, sur l’éloquence de la chaire. Il avait remarqué que parmi les prédicateurs, les uns savaient composer, mais ne savaient pas débiter, et que les autres savaient débiter et ne savaient pas écrire. Pour remédier à ce mal, il proposait que les sermons fussent écrits par ceux qui savent écrire et prononcés par ceux qui savent dire ; il y aurait ainsi des sermonnaires compositeurs et des sermonnaires déclamateurs. C’est