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l’indifférence envers la famille, envers les domestiques, envers les voisins et envers les pauvres ? »

Aussi est-il très en colère contre Corneille (lui-même), contre Racine et, comme Rousseau plus tard, contre Molière. Le Cid est le panégyrique du duel et cela est anti-social au premier chef. Molière est un « corrupteur public » et n’a jamais visé « qu’à faire sa réputation et sa fortune. « Quant à Racine, s’il a écrit Athalie, de quoi, du reste, il y aurait beaucoup à dire, il a écrit Phèdre et savez-vous bien l’histoire de Phèdre ? C’est une gageure qu’a faite Racine de rendre sympathique et de faire applaudir une adultère et une incestueuse et de faire pleurer sur elle : « J’ai ouï dire à Mme de La Fayette que, dans une conversation, Racine soutint qu’un bon poète pourrait faire excuser les grands crimes et même inspirer la compassion pour les criminels ; que Cicéron disait que l’on pouvait porter jusque-là l’éloquence ; et il ajouta qu’il ne faut que de la fécondité, de la justesse et de la délicatesse d’esprit pour diminuer tellement l’horreur des crimes ou de Médée ou de Phèdre qu’on les rendrait aimables au spectateur au point de lui inspirer de la pitié pour leurs malheurs. Or, comme les assistans lui nièrent que cela fût possible et qu’on voulut même le tourner en ridicule sur sa thèse extraordinaire, le dépit qu’il en eut le fit se résoudre à entreprendre Phèdre, où il réussit si bien à faire plaindre les malheurs de celle-ci que le spectateur a plus de pitié de la criminelle que du vertueux Hippolyte. »

Voilà ce que sont les hommes de lettres et les plus grands et ce qu’ils font. Ce sont des ennemis de la morale et par conséquent de la société. Tout ce qu’on pourrait dire à leur défense, c’est qu’ils ne la corrompent point et l’on n’aurait prouvé que ceci qu’ils sont inutiles et il ne faut point, dans l’Etat, d’inutiles qui pourraient ne l’être point.

Exception est faite pour les hommes de lettres, très rares, qui précisément sont utiles, pour les moralistes quand ils ne se parent point de ce titre afin de dissimuler qu’ils sont simplement des satiriques, pour les sermonnaires, pour les romans à tendances morales (le Télémaque est au premier rang, la Pamela de Richardson est infiniment louable). Mais, ces réserves faites, il reste que la littérature est le plus souvent, est presque toujours une dépravatrice.

Comment pourrait-on la purifier ? Par mesures législatives