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pas d’être fort sensé ; et si vous étiez jamais obligé d’y répondre sérieusement, soyez sûr que vous joueriez un personnage plus ridicule encore que le mien. »

Il avait dans la conversation, dans la discussion, à quoi il assure qu’il avait renoncé, mais à quoi il ne renonça jamais, des formes de courtoisie un peu ironiques, peut-être sans le savoir, qui nous rappellent Renan, l’homme d’ailleurs à qui, certainement, il ressemble le moins. Il disait : « C’est mon opinion, toute personnelle, et pour le moment ; » et il ne disait point, comme Brunetière : « Je ne suis pas du tout de votre avis ; » mais ce qui est d’une bien jolie politesse : « Je ne suis pas encore de votre avis. » — Il mourut à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, peut-être grâce à l’extrême régularité et à l’extrême sobriété de son régime, peut-être malgré cela. Il paraît bien qu’il mourut doucement et spirituellement. Il aurait été visité par Voltaire peu de jours avant sa mort et lui aurait dit : » J’envisage cela comme un voyage à la campagne. » A un autre il aurait répété le mot de Patru : « Un mourant a bien peu de chose à dire, lorsqu’il ne parle ni par faiblesse, ni par vanité. »

Il croyait en Dieu, à l’immortalité de l’âme, aux récompenses et aux peines d’outre-tombe. C’était tout. Il était un chrétien limited. Il parait bien, cependant, qu’il était prêtre ; il n’aurait pas pu être aumônier de la princesse Palatine sans cela. La princesse Palatine, qui avait « son petit religion à part soi, » aimait les messes d’un quart d’heure. Sans doute il les lui disait telles. C’était un prêtre limited. Il avait eu dans le passage de l’adolescence à la jeunesse une velléité de se faire religieux. Il en parlait soixante ans environ plus tard de cette sorte : « Le vieux Segrais me dit un jour que la plupart des jeunes gens, filles et garçons, avaient des envies, vers dix-sept ans, de se faire religieux ou religieuses ; que c’était une attaque de mélancolie, et il appelait cette maladie la petite vérole de l’esprit, parce que peu s’en sauvent. J’ai eu cette petite vérole, mais je n’en suis pas demeuré marqué. » Non, on ne peut pas dire que l’abbé de Saint-Pierre soit resté marqué de l’affection religieuse.

Ses ouvrages sont illisibles, mais ils méritent d’être lus. Sa Polysinodie est un système de gouvernement parlementaire, très difficilement praticable, je le reconnais, mais qui ouvre des voies nouvelles et, à mon avis, préférables à celles de la monarchie absolue. Il est complété du reste par son Projet pour