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de l’abbé de Saint-Pierre, si ce n’est de la plupart. Il est rare qu’autant que M. Drouet on mette en avant une idée et l’on prouve en trois cents pages le contraire même.

Tout cela n’empêche point que le volume ne soit très bon en soi comme belle exposition des idées du célèbre abbé et certainement, même après l’ouvrage brillant du spirituel Goumy, ce livre était à faire et il a été fait.

L’abbé de Saint-Pierre était né à Saint-Pierre-Église, près de Barfleur. C’était un cadet de très bonne famille remontant au XIIIe siècle. Il fit ses études chez les Jésuites du collège de Rouen où il connut Varignon et Fontenelle. Il y fit de mauvaises études, n’ayant aucun goût pour les humanités, mais garda de ses maîtres un excellent souvenir qu’il ne cacha pas. À peine ses études finies, possesseur d’un petit capital qui lui venait de sa mère qu’il avait perdue à l’âge de six ans, il vint à Paris où il se fit étudiant es sciences, suivant les cours, conférences, entretiens et conversations de tous les savans du temps et étudiant avec ferveur la seule chose qu’il aimât et la seule qu’on ne lui eût pas enseignée.

Il attira à lui, dans sa petite maison du faubourg Saint-Jacques, Varignon, avec qui il partagea ses revenus ; il y convia Fontenelle ; il y convia Vertot, et cette seconde société des quatre amis, inférieure en génie à celle de La Fontaine, Molière, Boileau, Racine, ne fut pas moins significative de son temps. Dans cette « cabane » de l’abbé de Saint-Pierre c’était le XVIIIe siècle, philosophique, historique, scientifique, qui naissait et s’agitait, dru et fort déjà dans son berceau. J’y vois tout son esprit et déjà son audace. L’abbé, du reste, se répandait dans le monde et s’y plaisait. Il agréa à la marquise de Lambert chez qui Fontenelle avait ses grandes et ses petites entrées, et la marquise de Lambert, qui était au moins vice-roi à l’Académie française, en fit un académicien. On le nomma en 1694. Il n’avait rien écrit du tout. Entre nous, c’était bien le moment de le nommer.

Il fut de plus aumônier de la princesse Palatine qui l’aima beaucoup et dont il a tracé ce portrait : « … princesse très respectable pour son courage et par sa fermeté pour la justice ; son humeur douce, affable, complaisante, libérale, la faisait aimer de tout le monde… » Voilà ce qu’en vingt-cinq ans le bon abbé de Saint-Pierre a remarqué chez la Palatine. Il y a des cas où