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étrange. Il l’a eu pour élève pendant huit jours ! « Mme Dupin m’avait fait prier de veiller pendant huit ou dix jours à son fils, qui, changeant de gouverneur, restait seul pendant cet intervalle. Je passai ces huit jours dans un supplice que le plaisir d’obéir à Mme Dupin pouvait seul me rendre souffrable : car le pauvre Chenonceaux avait dès lors cette mauvaise tête qui a failli déshonorer sa famille et qui l’a fait mourir dans l’Ile de Bourbon. Pendant que je fus auprès de lui, je l’empêchai de faire du mal à lui-même ou à d’autres et voilà tout. Encore ne fut-ce pas une médiocre peine et je ne ni en serais pas chargé huit autres jours quand Mme Dupin se serait donnée à moi pour récompense. » Il est peu probable que l’influence de Rousseau sur Chenonceaux ait été très considérable ; on ne peut guère tenir la vie déplorable de Chenonceaux pour le résultat de l’éducation donnée par Jean-Jacques.

Je lis encore : «… S’il y a dans l’histoire de notre littérature un moment où les poètes, les écrivains et les orateurs, quelle que soit leur tribune, font pauvre figure, c’est l’époque de la Régence qui ne fut pas moins désastreuse sous ce rapport que sous beaucoup d’autres. » Ceci n’est pas tout à fait faux. Cependant une période de sept ans qui voit paraître au jour l’Œdipe de Voltaire, les Odes de Voltaire, une vingtaine d’épitres de Voltaire, le Médisant de Destouches, la Sémiramis de Crébillon, le Petit carême de Massillon, le Gil Blas de Losage, les Révolutions romaines de Vertot, la Grâce de Louis Racine, les Fables de la Motle-lloudart, la Surprise de l’amour de Marivaux et les Lettres Persanes de Montesquieu ne fut pas absolument dénuée et l’on trouverait sans doute quelques septennats littéraires beaucoup moins bien partagés.

Sur quoi je chicanerais surtout M. Drouet si je causais avec lui, c’est sur son idée principale, qu’il a exprimée avec vigueur dans sa préface et dans ses conclusions, qui est que l’abbé de Saint-Pierre n’est nullement le chimérique et l’utopiste que l’on a cru et qu’il est au contraire très terre à terre, très positif et très peu original. Cette idée parait très intéressante dans la préface de M. Drouet et elle parait très fausse dans ses conclusions, parce que, entre la préface et les conclusions, il y a tout le volume qui précisément met en lumière, malgré lui, il faut le croire, l’utopique, le chimérique, l’originalité et même l’excentricité, très intéressante, du reste, de beaucoup des idées