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une autre bourgade de la même région, à Olney, que vint s’installer le futur poète, en compagnie d’une excellente femme, Mme Unwin, veuve d’un pasteur, qui lui servait à la fois de garde-malade et de confidente. Ce séjour à Olney se prolongea dix-sept ans, jusqu’en 1786 ; ou plutôt l’on peut dire qu’il se prolongea jusqu’au bout de la longue carrière du poète : car le village de Weston, où Cowper et Mme Unwin se transportèrent en 1786, n’était situé qu’à quelques pas de leur ancienne habitation d’Olney ; et lorsque Cowper, en 1795, fut emmené par un de ses neveux à Norfolk, où il allait mourir cinq années plus tard, l’étincelle de raison inespérément rallumée en lui à Saint-Albans s’était désormais éteinte pour toujours.

Pendant les trente années de sa « lucidité » relative, de 1765 à 1795, William Cowper a ainsi vécu misérablement dans un coin de province, sans autres ressources que la petite pension que lui accordait sa famille. Le logement qu’il occupait à Olney était si étroit et si sombre que tous ceux qui l’ont vu nous le décrivent comme une « prison : » après le départ du poète, un savetier l’a jugé trop incommode pour consentir à s’y installer. Trente années d’une existence obscure et monotone, sans autre distraction que de menus travaux domestiques et, chaque jour, la même promenade au bras de Mme Unwin. Mais le plus affreux est que, depuis sa sortie de Saint-Albans, William Cowper n’a plus jamais cessé d’être fou : obsédé d’une mélancolie à la fois plus persistante et plus douloureuse que celle qui, chez nous, a harcelé le cerveau d’un Jean-Jacques ou d’un Gérard de Nerval. Trois fois, durant ces trente années de sa vie solitaire, le poète anglais a été repris de crises violentes comme celle qui, naguère, l’avait fait enfermer chez le docteur Cotton, — mais avec ce trait aggravant que, désormais, nul espoir d’éternelle béatitude n’est plus venu se mêler en lui à l’effroyable attente d’une damnation éternelle. A trois reprises, le malheureux s’est trouvé hors d’état, pendant de longs mois, d’échapper par aucun « divertissement » à la vision de l’abîme infernal ouvert devant lui : de telle sorte qu’il pleurait et hurlait d’épouvante, se refusant à parler, à manger, à sortir de sa chambre, et ne voyant dans ses amis de la veille que des émissaires de Satan, ou bien encore de ténébreux ennemis acharnés à sa perte. Après quoi, comme je l’ai dit, cinq ans avant sa mort, une nuit profonde s’est répandue dans son cerveau ; et je ne sais rien qui égale l’horreur des quelques lettres écrites par lui durant cette période finale de son martyre. Qu’on lise, par exemple, la première en date de ces quelques lettres, adressée le 27 août 1795 à la tendre et fidèle cousine dont l’active amitié a été