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rêves de fortune et de gloire prochaines, — car il avait la passion des lettres, et espérait bien consacrer désormais ses loisirs à la composition de magnifiques poèmes qu’il avait en tête, — lorsqu’un détail lui fut révélé qui, suivant ses propres paroles, lui produisit l’effet d’un coup de tonnerre. L’emploi en question le dispenserait bien, il est vrai, de la terrible nécessité d’avoir à comparaître, chaque jour, devant l’assemblée des Lords : mais avant d’être admis à s’installer dans son calme et délicieux bureau, il aurait à comparaître au moins une fois en présence de l’auguste assemblée, afin de subir une espèce de petit examen, et encore suivi d’une prestation de serment !

La chose parut si effrayante au pauvre garçon qu’il fut tenté de signifier à son oncle l’impossibilité où il se sentait d’accepter cet emploi-là, tout de même que les autres. Il finit pourtant par s’armer de courage, sur les instances affectueuses de sa famille et de ses amis. Pendant six mois, par manière de préparation à un examen qui ne devait pas durer plus de quelques minutes, il dépensa ses journées et ses nuits à lire, à relire, à apprendre par cœur les comptes rendus de toutes les séances de la Chambre des Lords. Et sans doute, il aurait succombé à la fatigue de cette tâche inutile, s’ajoutant à l’affreuse épouvante qui décidément ne cessait pas de le torturer, si son oncle et d’autres parens ne l’avaient obligé, un mois environ avant la date fixée pour son examen, à aller se reposer sur la plage de Margate. Il eut là de courtes vacances qui réussirent très suffisamment, — semblait-il, — à lui rendre sa légère et charmante sérénité de jadis. Dans une lettre qu’il écrivait à une de ses cousines, dès la veille de son départ de Londres, il commençait déjà à railler ses folles alarmes des mois précédens et à célébrer de nouveau l’enviable existence que lui réservait l’avenir, — aussitôt qu’il aurait franchi l’insignifiante formalité de son examen. « Que si seulement je réussis dans mon entreprise, disait-il, j’aurai la satisfaction de pouvoir m’affirmer que les volumes que j’écrirai seront pieusement conservés d’âge en âge, et dureront aussi longtemps que la Constitution anglaise. »

Mais évidemment William Cowper ne se trompait pas sur soi-même en exprimant, quelques lignes plus loin, cet aveu ingénu : « Je vois bien que je suis d’une nature singulière, et très différent de tous les autres hommes que j’aie jamais rencontrés. » Car lorsque, après son retour de Margate, le jour du fameux examen, son oncle vint le chercher dans son petit logement du Temple pour le conduire devant les Lords, il trouva le malheureux candidat étendu à terre, une corde au cou. Le jeune homme avait eu si peur de mourir de peur, en