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1772. Le 5 du même mois, vingt et un jours auparavant, Wolfgang écrivait tranquillement à sa sœur : « Encore quatorze morceaux à faire et puis j’aurai fini. » Au jour dit, il eut fini en effet. Le succès de Lucio Silla fut médiocre. L’ouvrage néanmoins contient plusieurs passages, un épisode en particulier (la scène des tombeaux) qui, par « l’ardente beauté, » par « la profondeur tragique, » se placent au premier rang de tout l’œuvre dramatique du maître. Et puis, et surtout, ces fragmens apparaissent comme les symptômes d’un état d’esprit et d’âme, d’un accès, d’une véritable crise de romantisme que va traverser pendant quelques mois le génie du jeune Mozart. L’Allemagne entrait alors dans la période d’agitation passionnée que l’on désigne communément par le nom de Sturm und Drang et que représentent, dans l’ordre littéraire, des œuvres telles que la Lénore de Bürger et le Werther de Gœthe (1774).

La musique ne pouvait échapper à cette influence. Il semble même qu’elle l’ait subie la première. Alors sur les fronts les plus purs, les plus calmes, un souffle d’orage passa. Jusque chez un Haydn, M. de Wyzewa naguère a constaté ce mouvement de fièvre. Il a surpris une chaleur, un trouble et vraiment un frisson nouveau dans certaines œuvres étranges et magnifiques telles qu’une sonate pour piano en ut mineur, une série de quatuors savans et dramatiques et surtout ces « prodigieux poèmes de douleur pathétique » que sont les symphonies appelées la Passion, les Adieux et la Symphonie funèbre. Aujourd’hui c’est, dans l’œuvre de Mozart, à la même époque, exactement la même année (la dix-septième de la vie de Mozart) que par les mêmes signes le même état nous est révélé, fêlât, ou, comme disaient les anciens, éthos allemand, propre à l’Allemagne d’alors, et par où l’on ignorait communément que Mozart adolescent eût passé. Chose plus surprenante encore : le hasard ayant voulu que l’Italie fût témoin de ce passage et que le « mal romantique » atteignît Mozart pendant qu’il se trouvait à Milan et composait un opéra italien, c’est dans la langue musicale italienne qu’il exprima des sentimens allemands. Et cela, qui, chez tout autre, n’eût pas manqué de produire un contraste, voire une disparate, ne fit qu’ajouter une harmonie de plus à ce génie en tout et toujours harmonieux.

L’espace nous est ici trop mesuré pour suivre Mozart à travers les détours et les retours même d’un chemin qu’on avait, jusqu’ici, cru moins sinueux. Plus d’une étape encore, dans l’un ou l’autre sens, offrirait l’intérêt le plus vif et le plus imprévu. MM. de Wyzewa et de Saint-Foix, avec délicatesse, les ont toutes su distinguer et définir.