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ceint d’une couronne de chêne, le corps enveloppé d’une vieille lévite verte à collet d’hermine. Les femmes lui jetaient des fleurs. Il promenait autour de lui le regard perçant de ses yeux jaunes, comme si, dans cette multitude enthousiaste, il cherchait encore des ennemis du peuple à dénoncer, des traîtres à punir. » Ailleurs nous verrons monter à la tribune « un homme jeune, le front fuyant, le regard perçant, le nez en pointe, le menton aigu, le visage grêlé, l’air froid : il était poudré à frimas et portait un habit bleu qui lui marquait la taille. » C’est Maximilien. Nous aurons aussi un Fouquier-Tinville : un magistrat, laborieux, appliqué à ses devoirs, dont l’esprit ne sortait pas du cercle de ses fonctions. Car on imagine volontiers que la justice révolutionnaire fut le défi jeté à toutes les traditions de la justice civile ou ecclésiastique en France. Le fait est que « ces magistrats de l’ordre nouveau ressemblaient d’esprit et de façons aux magistrats de l’ancien régime. Et c’en étaient : Herman avait exercé les fonctions d’avocat général au conseil d’Artois ; Fouquier était un ancien procureur au Châtelet. Ils avaient gardé leur caractère. » Il est juste et conforme à la réalité que, dans un roman, on rencontre, une fois ou l’autre sans plus, ces fameux personnages, — comme, dans l’ordinaire de la vie, nous autres, gens du commun, nous entrevoyons, à la faveur d’une cérémonie, d’une catastrophe, d’un gala ou d’un procès, les hommes puissans, politiques, financiers, agitateurs, agioteurs, législateurs, de qui dépend notre destinée.

Ce sera donc une humanité anonyme, ce seront des êtres créés par lui de toutes pièces, que le romancier de Les Dieux ont soif fera vivre devant nous, dans le décor d’une époque soigneusement reconstituée. Afin d’évoquer le milieu, il dispose çà et là de petits tableaux soignés, achevés, finis, dont on dirait autant d’estampes anciennes. Ce fut de tout temps un des procédés familiers à M. Anatole France que cette manière savante dont il « illustre » son propre texte. On retrouve dans Les Dieux ont soif le même art « parnassien » avec lequel naguère l’auteur de l’Étui de nacre composait tour à tour des contes dans le goût de l’enluminure du moyen âge ou selon la peinture d’un vase grec. Pour rendre l’atmosphère et les sentimens d’une société, le moindre bibelot ou le moindre objet d’art vaut mieux que tous les discours. Personne n’est plus curieux que M. Anatole France de ces futilités qui retiennent, pour qui sait voir, un peu de l’âme du passé. Comme son Jérôme Coignard fréquentait autrefois chez le libraire Blaizot à l’Image Sainte-Catherine, une partie de son nouveau roman se passe chez le citoyen Blaise, marchand d’estampes