Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

UN ROMAN SUR LA RÉVOLUTION[1]

« La folie de la Révolution fut de vouloir instituer la vertu sur la terre. Quand on veut rendre les hommes bons et sages, libres, modérés, généreux, on est amené fatalement à vouloir les tuer tous. Robespierre croyait à la vertu : il fit la Terreur. Marat croyait à la justice : il demandait deux cent mille têtes. » C’est ainsi que M. Anatole France jugeait naguère notre Révolution dans un livre où il s’appliquait à raisonner suivant les principes de M. l’abbé Jérôme Coignard. Cet abbé professait en son temps une philosophie de tous points opposée à celle que Jean-Jacques Rousseau était à la veille de nous apporter et dont la Révolution devait faire son évangile. D’après lui, si l’on se mêle de conduire les hommes, il ne faut pas perdre de vue qu’ils sont de « mauvais singes. » À cette condition seulement, on a chance de se montrer humain et bienveillant. Une politique fondée sur la croyance à la bonté originelle de nos semblables ne peut être qu’absurde et cruelle. M. l’abbé Jérôme Coignard n’avait pas vécu assez longtemps pour lire le Contrat social, ni pour voir ce qui advint quand on voulut l’appliquer à la meilleure des républiques ; mais tout, dans la complexion de ce sage, protestait contre des atrocités auxquelles il eût en outre reproché d’être si inutiles ! Car il était persuadé que ces grands changemens qui bouleversent les États et dont l’histoire tient registre ne changent finalement rien aux choses ni à l’humanité qui est incurable. « Pour ma part, je prends peu d’intérêt à ce qui se fait

  1. Anatole France. Les Dieux ont soif, 1 vol. in-16 (Calmann-Lévy).