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juridiction domestique, la loi lui laisse le droit de venger son honneur par des sanctions disciplinaires. Nous avons vu tout à l’heure le marquis de Malauze séquestrer sa femme dans un de ses châteaux. Souscarrière fit enfermer la sienne dans un couvent à la campagne pendant un an et demi au bout duquel il lui rendit la liberté en lui déclarant qu’il ne se considérerait jamais comme son mari. La puissance maritale permettait d’aller beaucoup plus loin. Elle autorisait à tuer l’épouse adultère et son complice quand ils étaient surpris en flagrant délit. C’est bien comme un droit, non comme une tolérance, que J.-P. Camus présente cette justice sommaire. Elle restait impunie, même quand elle ne s’exerçait pas à la chaude, comme dit l’évêque de Belley. Henri IV ayant fait honte au comte de Cheverni de sa patience à supporter les désordres de sa femme, le comte la fit, malgré sa situation intéressante, étouffer dans son lit. Le comte de Gramont poignarda l’amant attitré de la sienne et on le soupçonna de s’être, peu de temps après, débarrassé de celle-ci par le poison. Le comte de Vertus assassine un des galans de la comtesse, Saint-Germain la Troche, qu’il avait attiré dans un guet-apens par une lettre supposée. Il ne faisait, il est vrai, que devancer le sort que lui préparaient les deux complices dont les intentions criminelles lui avaient été révélées par leur correspondance. Un des plus grands seigneurs de Gascogne, dont le chroniqueur bordelais qui rapporte le fait, nous a laissé, intentionnellement sans doute, ignorer le nom, fit tuer sa femme par ses suisses à coups de hallebardes, parce qu’elle l’avait trahi avec un gentilhomme de sa maison, et le public, comme la justice, garda sur l’événement un silence prudent.

Quand le mari outragé demandait à la société de venger son honneur et de se défendre elle-même dans son institution fondamentale, la société mettait à sa disposition des peines infamantes. C’était aussi dans l’infamie que la justice populaire plaçait le châtiment, avec cette différence qu’elle ne se piquait nullement de l’impassibilité de la loi, qu’elle s’assaisonnait, au contraire, d’une gaieté sans frein où le scandale faisait presque oublier l’expiation. Il est bien entendu que nos ancêtres de ce temps-là étaient très malheureux, mais il faut avouer qu’ils ne perdaient pas une occasion de s’amuser, fut-ce dans les circonstances les plus graves, les plus tragiques. La foule que nous avons vue s’inviter aux noces et les faire tomber dans