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entre son infidélité et celle du mari, c’était à cause du respect dû à celui-ci et de l’honneur familial dont il était le gardien. Si l’on ajoutait que, répugnant à la translation des biens d’une famille dans une autre, elles devaient répugner bien davantage encore à la transfusion illégitime d’un sang étranger, à l’usurpation d’une paternité qui faisait entrer des enfans adultérins, à côté des enfans légitimes et en concours avec eux, dans une famille qui n’était pas la leur, on donnerait une raison de la sévérité qu’elles auraient pu avoir contre l’adultère, on n’en donnerait pas de l’inégalité de leur sévérité. La femme ne pouvait intenter une action en adultère contre son mari. L’adultère n’entraînait pour celui-ci ni la séparation de corps, ni l’incapacité de la demander pour la même faute, il n’avait pour lui d’autre sanction que la perte de la dot et des avantages nuptiaux. Le monde n’était pas moins indulgent et il demandait k la victime d’avoir la même indulgence. Vives la lui présente comme un devoir ; tout ce qu’il lui permet, c’est de faire de la morale au coupable, mais une morale qui, en lui profitant, ne puisse pas l’irriter. Il s’en faut peu que Mlle de Scudéry, qui peut être considérée comme un arbitre des bienséances, taxe de mauvais goût les récriminations les mieux justifiées sur ce chapitre. Toutefois elle fait une distinction qui sied bien à la métaphysique sentimentale où se complaisaient les précieuses ; elle oppose, sur cette question de casuistique de la bonne éducation, les mariages de raison et les mariages d’inclination. La femme, en se mariant, a-t-elle moins écouté son cœur que tenu compte de telles ou telles convenances, elle doit se résigner, avoir l’air d’ignorer et, si l’évidence lui crève les yeux, ne pas en parler à l’infidèle. Mais si elle a aimé celui qu’elle a épousé, alors c’est un cœur qui lui échappe, et il est naturel qu’elle ne puisse prendre son parti de le voir passer k une autre. La duchesse de Montmorency, Marie-Félice des Ursins, commença par souffrir des infidélités de son mari, puis elle s’y résigna et trouva même une consolation singulière à recevoir ses confidences qu’elle voulait sans réticences.

A l’égard de la femme et de son complice, la répression de l’adultère rappelle le passé et annonce l’avenir. L’adultère est encore un crime public, il intéresse encore la société, mais on sent venir le moment où il sera considéré comme n’intéressant presque que le mari. Celui-ci est encore armé d’une