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que Louis XIII l’engagea à la faire enfermer. Le bon sens populaire avait compris que le plus coupable ici, c’était la victime qui laissait avilir en sa personne la hiérarchie domestique et il l’en punissait par le ridicule en lui faisant chevaucher un âne tête à queue, livré aux quolibets de la foule. La justice consacra longtemps cette expiation facétieuse d’une faiblesse préjudiciable à l’honneur collectif et elle ne cessa de l’admettre qu’en 1615 sans que l’usage de « faire courir l’âne » disparût radicalement pour cela.

Si les sévices subis par la femme ne donnaient pas lieu de plein droit à la séparation de corps, si les tribunaux exerçaient en pareil cas un pouvoir conciliateur et discrétionnaire, ils n’en étaient pas-moins considérés comme une des deux causes principales de séparation judiciaire, la dilapidation du patrimoine par le mari étant la seconde. C’est ce dernier motif qu’invoqua Marie Brisson devant le parlement de Paris quand la Cour lui demanda pourquoi elle avait quitté le lieutenant civil Miron. Celui-ci avait, à l’entendre, largement entamé par ses prodigalités la dot et les propres apportés par elle. Quand on lui fait observer qu’elle a aidé à ces dépenses et qu’elle en a profité, que le lieutenant civil lui a constitué un train de maison honorable et lui a entretenu six chevaux et six serviteurs, elle affirme qu’au contraire elle n’avait à son service qu’une demoiselle et qu’un laquais et qu’au lieu de 200 écus par mois qu’on lui avait promis pour son entretien, elle n’en recevait que 150. Si, dans cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres analogues, le parlement, au lieu d’homologuer, ainsi que le demandait Marie Brisson, l’acte de séparation amiable qu’elle avait passé avec son mari, procéda à une tentative de conciliation, il n’en faut pas moins tenir compte des séparations de fait qui n’avaient pas été prononcées par la justice. Celle-ci ne voulait pas et ne pouvait pas se borner à enregistrer des séparations volontaires, elle se croyait avec raison tenue de provoquer un retour à la bonne harmonie, de demander aux parties l’effort et la résignation dont les unions heureuses ont elles-mêmes besoin, elle devait aussi se préoccuper des intérêts des tiers qui pouvaient se trouver compromis par la séparation de biens, conséquence inévitable de la séparation de corps. Mais les passions n’acceptaient qu’avec peine la nouvelle épreuve qu’on voulait leur imposer. Beaucoup de ménages désunis refusaient de s’y soumettre et reprenaient tout