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par centaines pour le délassement des membres et la préparation du thé. Les gestes simplifiés et justes, la dignité des attitudes, la parfaite ordonnance de l’ensemble, tout révélait l’adaptation de cette multitude à des habitudes séculaires et comme le goût d’une pompe rituelle dans les moindres actes de la vie courante.

Des rumeurs, toutes sortes de relens, une vapeur rousse et dorée, pareille à quelque fumée d’holocauste, s’élevaient de ce rassemblement. Parfois, on entendait plus distincts des voix humaines, le chant d’une flûte ou des plaintes animales. Les premières étoiles s’allumaient au ciel et, dans la nuit qui montait, le silence des solitudes environnantes devenait plus absolu et plus impressionnant.


Les Italiens auraient un intérêt majeur à couper les pistes qui relient la Tunisie à la Tripolitaine, pour interrompre le trafic des caravanes et tarir, de ce côté du moins, le ravitaillement des troupes arabo-turques.

Pour cela, ils avaient jeté leur dévolu sur Zouara, qui devait leur servir de base d’opération. C’est un petit port à l’Ouest de Tripoli, à 80 kilomètres environ de la frontière tunisienne.

Mais la prise de Zouara, si souvent annoncée, n’est pas encore un fait accompli. Les Italiens l’ont déjà bombardé dix fois et il n’y a pas eu d’autre victime, parmi les assiégés, qu’une fillette blessée à l’épaule par un éclat d’obus. Zouara n’est plus aujourd’hui qu’un amoncellement de ruines. Le sol, alentour, est un vrai champ de projectiles où l’on chercherait en vain un brin d’herbe. C’est là qu’on ramasse des obus « gros comme des enfans, » selon l’expression du médecin, beaucoup de ces obus, lancés par des canons fatigués, ne portent plus trace de rayures.

Les Italiens ont apporté une rage inutile et stupéfiante dans le bombardement de cette place, puisque jamais aucun débarquement ne s’ensuivit. Il est vrai que la configuration du sol en permet aisément la défense. Dans les dunes qui dominent la plage, les obus tombent amortis et l’indigène s’y tient aux aguets.

Tout débarquement ne s’effectuera pas sans coûter beaucoup de monde à l’assaillant.

Cent cinquante soldats turcs, un millier d’indigènes, pas davantage, gardent la ville. Ils sont commandés par Mehmet