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temps, une certaine Frédérika Löve avait mis la main sur lui. Avide, exigeante et vénale, elle lui coûtait cher. Mais, en lui offrant les attraits de la nouveauté, elle le consolait de ne jouir chez la Stolsberg que de sensations épuisées et de n’avoir pu vaincre l’inflexibilité de la maîtresse d’Armfeldt.

Ses dévergondages alimentaient les potins de la Cour ; Madeleine n’en ignorait rien et dans les protestations nouvelles qu’avaient surprises ses amis, elle ne voyait autre chose que les dernières étincelles d’un foyer en train de s’éteindre. Elle écrit : « Ils m’obsédèrent tout le reste de la soirée ; mais, pour moi, je me flatte que tout cela n’était que des propos et que, repris dans les filets de Frédérika Löve, il m’oubliera. »


III

Le baron d’Armfeldt avait quitté Stockholm au mois de juillet 1792. Les fragmens que nous possédons de sa correspondance de cette époque témoignent du plus sombre pessimisme. Dans sa pensée, la Suède est perdue et deviendra bientôt la proie des factions révolutionnaires au même degré que la France. Ce sera le résultat fatal du gouvernement de la régence, tombé aux mains de ce Reuterholm, qui ne dissimule plus ses sympathies jacobines, encouragées par la faiblesse du Régent. On peut même craindre que cette politique funeste n’aboutisse au triomphe des révolutionnaires suédois et à l’établissement d’un état de choses qui fermera à Gustave IV l’accès du trône.

De son côté, Mlle de Rudenschold lui annonçait que de plus en plus les Gustaviens étaient persécutés. Le séjour de la capitale était interdit à plusieurs d’entre eux ; on maintenait la garnison sous les armes sous le prétexte de réprimer les soulèvemens séditieux, mais, en réalité, disait la jeune femme, pour restaurer le gouvernement des Etats tel qu’il avait été constitué en 1720, et que l’avait détruit Gustave III à son avènement. De telles nouvelles ne pouvaient qu’accroître l’irritation d’Armfeldt, d’autant que de loin les événemens lui apparaissaient plus graves encore qu’ils n’étaient.

Elle atteignit le comble lorsque, vers la fin de 1792, il reçut à Dresde l’ordonnance royale qui le nommait ministre de Suède auprès des Cours d’Italie et l’ordre de gagner son poste dans