Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 10.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sympathique. A Stockholm même, ils s’étaient maintes fois réunis pour évoquer les esprits. A plusieurs reprises, Reuterholm s’était flatté d’avoir obtenu d’eux des prédictions qui annonçaient au prince qu’il serait un jour le maître de la Suède et que lui, Reuterholm, était destiné à la gouverner sous ses ordres.

Intelligence brumeuse et âme pervertie, avide de plaisirs, libertin par nature, lent en toutes choses à se décider, redoutant les responsabilités, le duc de Sudermanie, encore qu’il affichât des prétentions autoritaires, ne demandait qu’à être mis en tutelle. Reuterholm, au sort duquel, à en croire les voix d’outre-tombe, le sien était lié, lui parut digne de le seconder dans la tâche qui lui était échue ; sous l’influence des souvenirs qui leur étaient communs, il l’appela à Stockholm et en fit le maître de l’Etat.

Le baron d’Armfeldt en était déjà parti. Au lendemain de la mort du Roi, accablé de douleur, atteint dans sa santé et prompt à s’irriter des changemens qu’il voyait se produire dans la marche des amures, ne croyant pas à la sincérité des témoignages de bienveillance auxquels semblait se plaire le Régent à son égard, il vivait assez retiré, se consacrant presque uniquement à ses fonctions de gouverneur général et ne paraissant à la Cour qu’autant qu’il y était appelé par les nécessités de son service. Elle était alors à Drottningholm. Lorsqu’il y venait, c’était surtout pour y voir le jeune roi vis-à-vis duquel il entendait conserver, autant qu’il le pourrait, le rôle qui lui avait été prescrit par Gustave III. Mais, par Madeleine de Rudenschold, il était tenu au courant de ce qui se passait autour du Régent.

Les intentions du prince, dont les échos lui parvenaient par cette voie, semblaient avoir été conçues pour l’exaspérer. Il voyait les volontés du roi défunt méconnues, le gouvernement suédois préparer la rupture de l’alliance russe et se rapprocher du gouvernement français qui était alors aux mains du parti Girondin. Le baron de Staël, réintégré dans les fonctions diplomatiques dont Gustave III avait voulu le déposséder, s’apprêtait à retourner : à Paris muni d’instructions à l’effet de jeter les bases d’un traité d’alliance entre la Suède et la République : il se flattait d’en obtenir des subsides plus considérables que ceux qui étaient stipulés dans le traité conclu avec la Russie au commencement de l’année précédente.