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dépossédait et résolue à n’y pas revenir. Bientôt, du reste, ce premier dissentiment s’envenima. La conduite de Louise-Ulrique, au moment de la naissance du prince royal, son petit-fils, héritier du trône, ses tentatives inconsidérées et coupables à l’effet de prouver que Gustave n’était pas le père du nouveau-né[1], donnèrent à la brouille accidentelle survenue entre le Roi et sa mère, un caractère définitif. La Reine douairière ne remit jamais les pieds à Drottningholm.

Gustave en avait pris aisément son parti. Trop fondés et trop irritans étaient ses griefs contre elle pour qu’il désirât la revoir. Il s’était approprié sans hésitations et sans remords le château royal d’où il l’avait en quelque sorte expulsée. A dater de ce moment, Drottningholm devint, durant l’été, le principal théâtre des plaisirs de la cour, ces plaisirs que de tout temps Gustave III avait aimés et dont son séjour en France, en 1772, lui avait donné plus vivement le goût. Toutes les occasions, naissances et mariages dans sa famille ou son entourage, lui étaient bonnes pour organiser des fêtes. C’est par des fêtes qu’aux anniversaires d’événemens importans, publics ou privés, il se plaisait à en commémorer le souvenir. Il les célébrait partout où il se trouvait, car sans parler du palais de Stockholm, il comptait dans son apanage plusieurs résidences : Carlberg, Ulriksdal, Swartsijo, Haga. Mais, nulle part, ces solennités ne revêtaient plus d’éclat que dans le cadre éblouissant de Drottningholm, devant le paysage magique qu’on découvre du haut des terrasses.

Durant le jour, dans le « Labyrinthe » aménagé en théâtre, étaient données des présentations en plein air ; le soir, elles avaient lieu dans les luxueuses salles du château. Les acteurs du théâtre français de Stockholm étaient appelés à y concourir et le Roi y jouait avec eux. Tantôt il était Turcaret, tantôt Cinna, tantôt l’Avare ou le Malade imaginaire, héros de drame ou de comédie, familiers aux spectateurs, qui presque tous parlaient la langue française et, pour la plupart, les avaient applaudis à Paris. Parfois aussi, il se taillait un rôle dans ses propres pièces, écrites. en collaboration avec le poète suédois Kellgren ou avec l’auteur et acteur français Monvel. Il arrivait même qu’après s’être costumé pour la représentation, il conservait jusqu’au soir le costume qu’il avait revêtu pour jouer et faisait, ainsi déguisé,

  1. Voyez dans mon livre : Tragédies et Comédies de l’Histoire (Hachette et Cie), le récit intitulé : Autour d’une chambre royale.