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à l’occasion du mariage du prince héritier, le futur roi Adolphe-Frédéric avec Louise-Ulrique de Prusse, qui devait être la mère de Gustave.

Le château, de style Renaissance, mire dans les eaux du lac l’une de ses façades et les degrés de marbre qui, sur toute sa longueur, donnent accès à la rive. L’autre façade domine une terrasse de laquelle on descend, par un escalier monumental, sur un rond-point découvert, après avoir traversé une vaste esplanade qu’embellissent, comme en un décor de féerie, des pelouses étoilées de fleurs, des statues dispersées çà et là et un massif de buis, disposé à l’intérieur en labyrinthe. Au-delà de ce rond-point, commence le parc, un parc immense planté d’arbres plus vieux que le château. Sous leurs ombrages vénérables s’allongent, à perte de vue, des allées hautes et larges dont la lumière du jour perce à peine les voûtes feuillues et qu’on dirait endormies dans le silence et le mystère. Au détour de ces allées, se dresse un pavillon chinois, « la Chine, » comme on l’appelle, dont Adolphe-Frédéric avait fait, en 1752, la surprise à la Reine, son épouse, le jour de sa fête.

C’est dans ce pavillon que, durant les après-midi de l’été, se réunissait la Cour ; elle y venait respirer l’air des bois et la fraîcheur qui tombait des arbres. Le caractère intime de ces réunions se trahissait par la liberté laissée à chacun de ceux qui y prenaient part. Là, le cérémonial et l’étiquette étaient oubliés. On allait et venait à sa guise. On pouvait travailler, lire à l’écart, deviser entre amis. On y vivait sans contrainte. Princes et courtisans se sentaient plus à l’aise dans cette « Chine » que lorsque, à d’autres momens du jour, ils naviguaient en gondole sur le lac, ou lorsqu’ils paradaient sur l’esplanade, ou lorsque, le soir venu, ils s’assemblaient dans les vastes salons et les galeries du château, autour des Majestés, ou encore lorsque Gustave donnait une de ces fêtes que nous décrirons tout à l’heure.

On peut dire que plus qu’en aucune autre de ses résidences, Gustave III a goûté à Drottningholm la douceur de vivre. Il jouissait de ce domaine royal depuis que sa mère s’étant, une fois veuve, lourdement endettée, avait dû, afin de désintéresser ses créanciers, le rétrocéder à la couronne, avec les richesses d’art qu’il renfermait, pour aller vivre dans le château plus modeste de Fredhriskof. Elle était partie de Drottningholm les yeux pleins de larmes, le cœur déchiré, irritée contre son fils qui l’en