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comme le matin du jour, plein de pureté, d’images et d’harmonie. » « Je ne serais pas éloigné de croire, écrit M. Lemaître, que René a d’abord été crayonné par Chateaubriand dans les bois de Combourg, avant son départ pour le régiment. » Et il affirme que « René a été conçu et une première fois écrit avant les Natchez, ou plutôt était d’abord une introduction à ce roman. » Il est possible ; mais la preuve sur laquelle on établit cette hypothèse est-elle bien péremptoire ? « Dès les premières pages des Natchez, nous dit-on, l’auteur appelle René « le frère d’Amélie, » ce qui serait absolument inintelligible au lecteur, si l’histoire de René ne précédait pas celle des Peaux-Rouges. » Oui, si les Natchez, — ce que M. Lemaître nie avec raison ailleurs, — ont été publiés tels qu’ils ont été écrits ; mais René ayant vu le jour en librairie avant les Natchez, et les Natchez ayant été sûrement retouchés, qu’est-ce qui empêchait Chateaubriand, en le retouchant, de faire, dès le début de son grand poème, une allusion à la célèbre « nouvelle » de 1802 ? Bien plutôt qu’une « introduction, » René me parait, ainsi qu’Atala, avoir bien été un « épisode » primitif des Natchez, et le témoignage de Chateaubriand ne me semble pas ici devoir être sérieusement infirmé.

Seulement, ce qui est non pas probable, mais certain, c’est que le René primitif devait être assez différent du René que nous connaissons. Chateaubriand a dû modifier plus ou moins profondément son œuvre et la christianiser, si l’on peut ainsi dire, pour la faire entrer dans le Génie du Christianisme, dont elle a fait tout d’abord partie. Y a-t-il toujours parfaitement réussi ? Ne pourrait-on pas, sous la version actuelle, retrouver des traces de la conception première ? « Si l’aventure d’Amélie, dit excellemment M. Jules Lemaître, faisait penser à quelque chose, ce ne serait certes pas aux histoires d’Amnon et de Thamar ou d’Europe et de Thyeste, on y verrait plutôt une recherche d’effets tragiques à la manière de Diderot, un ressouvenir de toutes les histoires de religieuses passionnées et brûlantes où se sont plu les gens du XVIIIe siècle. » Oui, tel pourrait bien être le fond primitif de René : une histoire fort peu « édifiante » dans le goût de Diderot.

Pareillement pour Atala. M. Jules Lemaître a très finement démêlé la diversité des élémens et des intentions successives que Chateaubriand a fondus dans son petit roman. Il y a si longtemps, pour ma part, que je suis convaincu qu’Atala était