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C’est ce qu’a fait le nouvel éditeur. Et il semble, d’après sa Préface, qu’il a déjà été bien payé de sa peine. Nombre de portes, qu’on aurait pu croire plus jalouses, se sont ouvertes devant lui ; d’aimables et précieuses communications lui ont été faites qui, jointes à ses propres recherches, lui permettront d’augmenter singulièrement le nombre de lettres connues ou simplement soupçonnées du grand écrivain. Il serait sans doute bien prématuré de vouloir, dès maintenant, donner des chiffres un peu précis. Je ne serais pourtant pas étonné que M. Louis Thomas pût porter à trois mille, — et peut-être au-delà, — le total des lettres que nous possédons de Chateaubriand. Et, bien entendu, il ne rassemblera pas tout.

Car les Correspondances les plus complètes, le plus pieusement conservées, le plus scrupuleusement publiées, ne représentent jamais qu’une partie, parfois assez minime, de tout ce qui s’est écrit de lettres durant une vie d’homme ou de femme. Le hasard et la volonté, pour sauvegarder comme pour détruire, ne s’inspirent pas toujours des vrais intérêts du mort illustre, et bien moins encore de ceux de la postérité. C’est ainsi que nous ne possédons aucune des lettres de Chateaubriand à son père, à sa mère, à son frère, à sa sœur Mme de Farcy, à sa sœur Lucile. Il semble bien qu’il ait détruit lui-même sa correspondance avec Mme de Beaumont[1], et même, ce qui s’explique moins, presque toutes ses lettres à Joubert. Toute sa correspondance avec Bonald a disparu des papiers de l’auteur de la Théorie du Pouvoir. Et nul doute enfin qu’il n’y ait bien des lacunes dans sa correspondance avec Lamennais, avec Ballanche, même avec Mme de Staël et avec Fontanes, avec combien d’autres encore ! Ces lacunes sont assurément regrettables, mais elles sont inévitables, et, d’ailleurs, quelques-unes seront peut-être comblées un jour. La première édition de la Correspondance de Voltaire comprenait six mille lettres : nous en possédons dix mille aujourd’hui, — et, jusqu’au Jugement dernier, l’on en retrouvera de nouvelles.

  1. De toute la Correspondance avec Mme de Beaumont, il ne nous reste que quelques lignes citées par Mme de Beaumont dans une lettre à Joubert (les Correspondans de Joubert, p. 142), et qui, chose assez piquante, se retrouvent en partie dans une autre lettre de Chateaubriand… au même Joubert, laquelle fait partie du Voyage en Italie. Chateaubriand y parlait des déserts « où la trace de la dernière charrue romaine n’a pas été effacée, des villes tout entières vides d’habitans, des aigles planant sur toutes ces ruines, etc. ! Le Pape a une figure admirable, pâle, triste, religieuse. Toutes les tribulations de l’Église sont sur son front. » — Cette lettre que M. Paul de Raynal n’a pas datée doit l’être de la fin de juin 1803.