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lui succéder adoptât le rite grec. Avant de prendre un parti, le Duc d’Aumale désirait consulter les membres de sa famille, et particulièrement son fils aîné, le Prince de Condé. Celui-ci, qui suivait à Lausanne les cours de l’Académie sous la direction d’un colonel de l’armée fédérale, témoigna peu de goût pour l’aventure. Très attaché à la foi catholique, très Français de cœur, il ne voulait changer ni de religion, ni de patrie[1].

  1. Voici la réponse faite au Duc d’Aumale par le Prince de Condé dans une lettre qui honore sa mémoire.
    Lausanne, 2 février 1863.
    Mon cher Papa, J’ai reçu par Robert la lettre de M. Piscatory et la réponse que vous lui avez faite (*). Au premier moment, je ne le cacherai pas, une pareille idée m’a plutôt effrayé je ne m’étais jamais préparé à l’idée de porter le fardeau que l’on appelle une couronne. Mais ensuite, en lisant votre réponse, j’ai trouvé que tout ce que vous avez dit était d’accord avec ce que je pensais ; je me bornerai donc à ajouter quelques idées qui me viennent à l’esprit, et dont vous ferez le cas nécessaire.
    D’abord un point à éclaircir, et qui est pour moi le sine qua non de la question. Dans l’analyse de la lettre de M. Piscatory, que vous m’avez envoyée, il est dit : » Ils (les Grecs) ne lui demanderaient point un changement de religion, et il leur suffirait que celui de ses enfans qui devrait lui succéder adoptât le rite grec. » Que veut dire ce mot « rite ? » Est-ce simplement d’entendre les offices selon le rite des Grecs unis à l’Église romaine, ou bien le mot rite veut-il dire ici religion ? Désire-t-on une abjuration de la foi catholique ? En ce cas, je me retire, je ne veux à aucun prix quitter la foi de mes pères, que je tiens pour la meilleure.
    Autre question : je ne crois pas qu’en ce moment votre élection au trône de Grèce rencontre quelque opposition de la part des puissances étrangères. Mais si, comme je l’espère, Paris monte, un jour, sur le trône de France, l’Angleterre ne s’inquièterait-elle pas de voir les trônes de Grèce et de France dans les mains de la même famille ? Ne pourrait-il résulter de là de fâcheuses complications ?
    Je passe au troisième et dernier point qui m’ait préoccupé : en montant sur le trône de Grèce vous renonceriez, pour vous et votre famille, à cette patrie que nous aillions tous tant ; il faudrait devenir Grec et cesser d’être Français, Rude sacrifice, dont je ne me sens guère plus la force que du changement de religion, et sans lequel on ne serait qu’un second Othon. Enfin, et il n’y a pas à se faire d’illusion, votre nom est, au dire de tous ceux qui viennent de France, le plus connu et le plus populaire de la famille. En devenant roi des Grecs, vous cesseriez d’être Duc d’Aumale. Serait-il juste de priver non seulement la maison d’Orléans, mais la cause tant aimée de la liberté, d’un de ses appuis les plus importans ? En assurant ainsi une situation à notre branche, ne gâterions-nous pas celle de la famille entière et de la France ?
    J’indique. A vous de décider si ce que je dis est faux ou juste. Vous m’avez demandé ce que je pensais ; j’ai répondu avec franchise et selon ma conscience.
    Maintenant, si Dieu favorise votre candidature et que vous l’acceptiez, vous pouvez être sûr que je serai à côté de vous, prêt à vous servir et à accepter toute tâche. Seulement, je ne veux point apostasier, préférant le bonheur éternel à la gloire de ce monde.
    Votre très respectueux et très affectionné fils
    LOUIS D’ORLEANS.
    (*) Ces lettres avaient été remises au Prince de Condé par le Comte de Paris et le Duc de Chartres qui, allant voyage en Italie, s’étaient arrêtés pendant quelques jours à Lausanne.