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détourner son attention des affaires de France et d’offrir un but à son activité.

Au fond, l’idée ne venait pas de l’Empereur qui s’était borné à y faire bon accueil. Elle venait d’un des plus fidèles serviteurs de la Maison d’Orléans, Piscatory, ancien philhellène, ancien ministre de France en Grèce. Piscatory, demeuré très populaire en Orient, y conservait des correspondans et des amis. Sa maison de Paris était ouverte aux jeunes Grecs qui y faisaient leurs études. Il avait appris par eux et par des lettres de Grèce que la candidature du Prince y serait acclamée. On se faisait fort d’obtenir l’adhésion écrite de tous les officiers de la garnison d’Athènes. Quant à lui, avec sa nature ardente et optimiste, il avait pris la question si à cœur qu’il s’engageait, s’il pouvait débarquer à midi au Pirée, à faire proclamer le Duc d’Aumale roi, par acclamation, avant la fin du jour. Les Grecs tenaient d’autant plus à l’acceptation du Prince qu’ils ne voyaient se produire nulle part une candidature qui leur convint et qu’ils ne pouvaient se passer d’un roi sans tomber dans l’anarchie.

Le Duc, pressenti par Piscatory, ne lui cacha pas que, si des objections pouvaient être faites à ce projet, il n’en était pas moins flatté qu’on vint le chercher sur la terre d’exil. Il aurait été moins sensible à cette marque de sympathie pendant que son père régnait aux Tuileries. Eloigné de France, exilé, sans influence politique, il ne pouvait qu’être profondément touché qu’on voulut bien penser à lui. Il ne lui était pas non plus indifférent de se consacrer à une noble cause, de servir un peuple pour lequel les jeunes hommes de son temps avaient toujours fait les vœux les plus ardens, dont le patriotisme avait excité dans tous les pays d’Europe un si vif enthousiasme. S’il y avait du travail à accomplir, il ne craignait pas le travail ; s’il y avait des dangers à courir, le danger ne lui faisait pas peur.

La proposition offrait donc à son avis des côtés séduisans. Mais cet homme, si hardi sur le champ de bataille, était en même temps le plus prudent et le plus avisé des politiques. Il ne voulait à aucun prix s’engager avant d’obtenir certaines précisions. Quelles seraient les ressources du royaume hellénique, serait-il en mesure de défendre son indépendance ? La question se compliquait aussi de considérations morales. Les Grecs ne paraissaient pas demander au Prince de changer de religion, mais ils exprimaient le désir que celui de ses enfans qui devait