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obscurs, ils entendaient cette fois ne laisser hors de leur Compagnie aucun des hommes dont la France était justement fière.

En 1862, nouvel échec de Cuvillier-Fleury. Cette fois, il n’y eut pas d’élection, mais le candidat qui obtint le plus de voix fut le poète Autran. L’irascible précepteur du Duc d’Aumale voit dans cette candidature toutes sortes de combinaisons machiavéliques ; il croit que l’Académie veut bien se prononcer pour un ultramontain comme le Père Lacordaire ou pour un des chefs du parti catholique comme le prince Albert de Broglie, mais qu’elle lui tient rigueur, à lui, Cuvillier-Fleury, parce qu’il est le correspondant du Prince et qu’on ne veut pas se compromettre auprès du gouvernement en faisant campagne pour un orléaniste, l’orléanisme étant le parti que l’Empereur redoute et déteste le plus. Suivant lui, les adversaires de sa candidature, ne pouvant faire passer leur candidat, se sont rabattus pour lui faire échec sur un candidat incolore. Il y a certainement du vrai dans ces doléances académiques. Mais incolore est bientôt dit et ne peut d’ailleurs se comprendre qu’au point de vue politique. Il eut été plus élégant de reconnaître le mérite de l’adversaire et de saluer, comme l’Académie elle-même, les Poèmes de la mer. Il n’y avait aucune humiliation à être battu par cet esprit délicat qui joignait à son talent la bonne fortune de représenter la Provence, d’être le compatriote de Thiers et de Mignet.

Aux tristesses de l’exil s’ajoutait, pour le Duc d’Aumale, un souci d’un ordre plus général. Ni la prospérité ni la puissance apparente de l’Empire ne lui dissimulaient le danger que faisait courir à la France la permanence d’un pouvoir sans contrôle. Il ne concevait la monarchie que sous la forme d’un régime parlementaire, telle qu’il l’avait vue sous le règne de son père, telle que la Grande-Bretagne lui en offrait le spectacle, comme un pouvoir contrôlé par l’opinion. Cette opinion ne pouvait se manifester que de deux manières, par des élections libres ou par la liberté accordée à ta presse. Si le gouvernement dictait lui-même le choix des députés, si les journaux qui oseraient discuter les actes du gouvernement se savaient menacés de confiscation, le contrôle n’existerait plus. Ce serait le régime de l’arbitraire et du bon plaisir. Telle était bien la physionomie du second Empire. Le Duc d’Aumale suivait avec anxiété les incohérences d’une politique personnelle, tantôt favorable au Saint-Siège,