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doute que les circonstances s’y prêtent et que, sous une surface restée imposante, les vieilles institutions soient en effet très usées ; mais il faut aussi qu’un homme se rencontre pour en sonner le glas funèbre. Ici plusieurs noms viennent à la pensée. Nous ne retiendrons pour le moment que celui de M. Roosevelt. Il n’y a pas longtemps encore, des entreprises comme la sienne auraient sombré sous le soulèvement de la conscience nationale, des préjugés nationaux si l’on veut : aujourd’hui, M. Roosevelt suscite autour de lui un grand enthousiasme ; il a des amis chauds et des partisans enflammés ; sa parole électrise les foules et, malgré la défaite qu’après tant d’efforts il vient d’éprouver à la convention de Chicago, on se demande quel sera le dénouement final de l’aventure où il s’est jeté à corps perdu. Il a eu des hauts et des bas si rapprochés, si imprévus, si paradoxaux et il y a en lui une telle accumulation de ressources vitales qu’on ne peut rien présumer de son avenir. L’échec qu’il a éprouvé à la convention de Chicago est des plus graves assurément, mais si on songe que l’élection présidentielle n’aura définitivement lieu qu’au mois de novembre, nul ne petit dire ce qui se passera d’ici là et encore moins ce qui aura lieu ce jour-là.

On sait que chacun des deux grands partis des États-Unis élit dans une convention son candidat à la présidence. Chaque État envoie ses représentans à cette Convention : il y en avait 1072 à celle du parti républicain à Chicago. Une première opération avait eu lieu avant l’ouverture de la Convention : un comité appelé Comité national avait vérifié les élections contestées. Elles étaient en assez grand nombre et on a pu constater tout de suite que le Comité national avait une sorte de prédisposition à invalider les partisans de M. Roosevelt : il en a fait un vrai massacre. A-t-il eu tort ou raison, nous ne saurions le dire, mais les apparences pouvaient faire croire à un parti pris. Alors, la colère de M. Roosevelt n’a plus eu de bornes : il a dénoncé avec indignation la fraude, le vol dont il était victime ; il a fulminé que si la Convention ratifiait les décisions du Comité elle perdrait toute autorité et qu’un honnête homme ne pourrait pas accepter d’être désigné par elle. À partir de ce moment, le vol, sous toutes ses formes, est devenu l’obsession de sa pensée, la dénonciation habituelle de son langage et il a pris pour premier article de son programme le mot de l’Écriture : « Tu ne voleras pas. » Il en a fait son cri de guerre, I qu’il a poussé avec fureur en arrivant à Chicago. Car il y a eu encore à une tradition à laquelle M. Roosevelt a manqué : les candidats d’un parti n’allaient jamais autrefois au lieu où se tenait la convention