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jusqu’à la veille des élections, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on pourrait dire qu’il était trop tard. Tel est le jeu que les radicaux-socialistes ont joué, avec une application soutenue, depuis le commencement de la législature. Leur déception a été grande lorsque M. Poincaré a déclaré tout net que cette méthode de temporisation trouverait un gouvernement récalcitrant, et qu’il faudrait le renverser si on s’y entêtait.

Le débat devait avoir une autre solution. M. Poincaré, qui avait posé hardiment la question de confiance, a eu une forte majorité. Elle s’est encore accrue le lendemain, à la suite d’un retour offensif des radicaux-socialistes. M. Breton a mené ce nouvel assaut avec plus de furie que de sang-froid ; il s’est refusé à admettre que le gouvernement avait eu la majorité des républicains et a présenté une motion formelle pour l’inviter à se conformer à cette règle récente qui est encore venue compliquer le fonctionnement du machinisme parlementaire en le rendant plus difficile. Il ne suffit plus aujourd’hui au ministère d’avoir la majorité de la Chambre, il faut encore qu’il ait la majorité du parti républicain. Mais, précisément, M. Poincaré prétendait l’avoir eue et, au total, il suffisait qu’il le crût pour que cela fût une bataille gagnée. C’est d’ailleurs une étrange nouveauté que celle qui consiste à faire des catégories parmi les députés et à dire que, dans certains votes, les voix des uns comptent, tandis que les voix des autres ne comptent pas. Pour renverser un ministère, elles comptent toutes ; du moins on n’a pas encore établi le contraire, et c’est peut-être un perfectionnement qu’on réserve à l’avenir ; mais, pour le conserver, le maintenir, le consolider, des distinctions surviennent ; les voix de ceux-ci sont admises, les voix de ceux-là sont récusées. Le suffrage universel est un cependant et c’est porter atteinte à sa souveraineté que de distinguer, appoint de vue du droit, entre ses élus. Ne viennent-ils pas tous de la même source ? Y a-t-il, peut-il y avoir des députés de première classe et des députés de seconde ? Est-ce que les mandats des uns et des autres ne sont pas égaux ? A toutes ces questions, il ne saurait, en bonne doctrine, y avoir qu’une réponse : malheureusement on se soucie peu de la doctrine aujourd’hui. Soit ; mais si on raisonne en fait, et non plus en droit, où commence, où finit la majorité républicaine ? M. Breton l’a demandé avec insistance à M. Poincaré qui ne lui a pas répondu. Les socialistes unifiés font-ils partie de cette majorité ? Et les progressistes ? Il semble bien que ces derniers en soient exclus, et même avec la connivence du gouvernement. Les progressistes n’ont pas l’habitude de forcer les portes qu’on leur ferme et de s’immiscer