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l’attachement absolu qui double leur valeur. Le propre de l’âme française est de communiquer les vertus qu’elle porte en (die, d’engendrer le dévouement jusqu’à l’héroïsme.

Cet Anglais s’en rendait compte, lorsqu’il me disait : « Si nous avions vos tirailleurs et vos officiers, toute l’Afrique serait à nous depuis longtemps. » Il ne séparait pas les chefs de leurs hommes, et il avait raison. C’est aux premiers que nous devons les seconds, aux premiers et aux sous-officiers à qui incombent presque toujours des devoirs et des responsabilités d’officiers.

Il ne faut pas que mes récits, que mon admiration pour nos tirailleurs diminuent le rôle de leurs officiers. Si brave que soit une troupe, elle m ; peut rien sans son chef, en dépit de l’affirmation de Tolstoï : « Le soldat est tout dans le combat. » Le seul vrai principe sera toujours celui de Napoléon : « Le chef est tout. »

« Pendant la guerre de Crimée, raconte le colonel Ardant du Picq, un jour de grande action, au détour d’un des nombreux remuemens de terre qui recouvraient le sol, des soldats de deux partis opposés se trouvèrent inopinément face à face, à dix pas. Saisis, ils s’arrêtèrent ; puis, comme oubliant leurs fusils, se jetèrent des pierres, tout en reculant. »

Un autre épisode, analogue et plus récent, est rapporté parle général Yan Hamilton, détaché à l’état-major du général Kuroki pendant la guerre de Mandchourie.

Le général Hamilton visitait la colline emportée d’assaut par le général Okasaki, au combat du Cha-ho ; il engagea la conversation avec un soldat japonais ayant participé à l’attaque. Ce dernier avoua ne s’être battu ni à coups de fusil, ni à coups de baïonnette, mais à coups de pierres. Et le général lui en demandant la raison, le soldat répondit que, sur le moment ; Ce mode de combat avait paru le plus simple.

Il est incontestable que ces hommes, aussi bien en Mandehourie qu’en Crimée, ont eu un instant d’affolement. Mis brusquement en face les uns des autres, à bout portant, aucun d’eux n’a osé tirer le premier, appréhendant de déterminer par son geste celui de l’adversaire. Ils étaient si près que les balles ne devaient pas manquer leur but, du moins ils se le figuraient ; et pour se distraire de leur fusil, pour distraire l’ennemi du sien, pour occuper le temps, et se donner, en somme, la possibilité de reculer, ils se lançaient des pierres.

À quelle cause attribuer cette défaillance d’hommes