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en se faisant aider parfois de toute la bande des écoliers. Le cas était curieux. Je me permis de le signaler et d’en montrer le bel intérêt. J’aurais voulu une récompense pour ce rare éducateur. On me répondit que ce maître était très méritant, mais qu’on ne pouvait pas entrer dans mes vues, parce qu’aux examens et aux inspections, dans les réponses et les cahiers, les élèves de cette école ne se montraient pas supérieurs en agriculture à ceux des écoles voisines. Évidemment nous ne nous comprenions pas. Mon protégé n’a pas eu d’autre récompense que la réalisation de son rêve. Il est maintenant à la retraite et, avec ses trois fils, il laboure les champs paternels. La Gascogne lui doit certainement bien d’autres laboureurs.

La terre, qui nous nourrit, est la principale source de notre richesse et de notre puissance, elle est au premier rang des influences qui ont déterminé la personnalité morale de la France et façonné le génie national. L’école, malgré de très louables efforts ne fait pas son devoir envers elle, et nous avons essayé de montrer les erreurs qui l’en empêchent. C’est une erreur de penser que la même formation peut donner à Paris et à la province, à la ville et au village, l’instituteur qui leur convient, que le choix du métier et la vocation se confondent et qu’il suffit d’enseigner l’un pour faire naître et développer l’autre ; c’est une erreur de croire qu’on peut faire aimer la terre sans la connaître à fond et l’aimer profondément soi-même et que, pour rester un maître paysan, on doive renoncer à la distinction intellectuelle. Ces erreurs ont un caractère commun, une marque d’origine où l’on reconnaîtra le goût de l’unité et l’esprit aprioriste du rationalisme. L’expérience complète et sincère de la réalité, la patiente soumission à cette expérience, fondemens d’une autre philosophie, nous donneraient de meilleurs résultats. Sur la mince tranche de vie que nous venons d’étudier, l’esprit et la méthode rationalistes aboutissent à un véritable échec.

Dr Emmanuel Labat.