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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

certains voisinages et respecter d’autres forces qu’il importe de connaître.

Les grêles, qui en quelques minutes ruinent les espérances d’une année et compromettent pour plusieurs autres les vignes et les arbres fruitiers, ne sont pas rares en Gascogne, ni les pluies persistantes de juin qui noient la fleur du blé et laissent les épis vides, ni les grandes invasions de Back-rot et de Mildew auxquelles les vignes les mieux « traitées » ne résistent pas. Il est curieux d’observer l’état d’esprit des paysans au lendemain du désastre. La consternation est la même chez tous, mais non pas le découragement, ou tout au moins la blessure morale. Les plus blessés sont certainement les plus éclairés, ceux qui conduisent scientifiquement et avec succès leur travail, et qui d’ailleurs perdront moins que les autres, car ils ont su s’assurer largement, ils sauront se retourner, refaire leurs semis, développer leur élevage.

Essayons d’interpréter cette curieuse constatation. Toutes les industries connaissent les risques économiques : mévente, crises de main-d’œuvre, cherté de la matière première, et l’agriculture n’en est pas à l’abri. Mais les risques météorologiques, qui l’accablent, ont un caractère particulier. Le tisseur, qui mêle sur son métier des fils de coton et de laine, sait qu’il aura une étoile d’une qualité déterminée, et le métallurgiste produira du fer ou de l’acier selon la formule chimique de la lave incandescente qui s’échappe en coulée du haut fourneau. Le laboureur n’est pas sûr de manger le pain du blé qu’il a semé selon les règles d’une science précise, et le vigneron, qui a conduit ses raisins à la cuve au prix des plus scientifiques efforts, aura peut-être de la piquette au lieu du bon vin qu’il méritait.

Le paysan traditionaliste et routinier supporte mieux le désastre parce qu’il trouve dans sa vieille mentalité unis sorte de fatalisme héréditaire. Le paysan moderne, d’esprit précis et positif, que l’imprégnation scientifique de l’école a développé, regrette alors de n’avoir pas fait autre chose comme tel de ses camarades qui n’était pas plus instruit que lui, de n’être pas entré dans une de ces carrières, si appréciées en France, où l’effort détermine rigoureusement le succès, c’est-à-dire le payement, où l’on voit même parfois que celui-ci dépasse de beaucoup celui-là.

Il y a encore une autre nuance, inattendue, pleine d’intérêt.