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point, on y est presque aussi savant que lui, bien que ce soit d’une autre manière. Le père sait que le blé sera beau si le trèfle, la luzerne ou les fèves l’ont précédé dans le champ. Il tient cela de son père qui lui-même le tenait du sien. La science moderne donne du phénomène une admirable explication, qui pourrait bien d’ailleurs n’être que provisoire, mais la découverte du fait pratiquement intéressant remonte aux Romains et est définitive.

On profite d’une chaude journée d’été, où les plantes souffrent et meurent de soif, pour dire aux enfans que l’homme peut vaincre la sécheresse et leur raconter les merveilleux résultats obtenus par les Américains. On leur explique comment la terre profondément défoncée emmagasine l’eau des pluies de l’hiver où les sarclages superficiels et répétés la maintiennent. On appuie la leçon par la petite expérience des deux colonnes de sucre, reposant sur une soucoupe remplie d’eau, l’une faite d’un seul bloc, l’autre d’une série de morceaux superposés : l’eau monte rapidement dans la première pour s’évaporer à la surface, difficilement dans la seconde. Mais, pour que la leçon soit complète et féconde dans le sens que nous désirons, il est nécessaire d’ajouter que le fait, si bien expliqué par la science, était parfaitement connu des vieux paysans gascons, comme en témoignent certains usages d’autrefois.

Quand la population était abondante sur les bords de la Gimone et de l’Arratz, petites rivières qui descendent du plateau de Lannemezan, les grandes métairies louaient volontiers leurs chaumes aux gens du village qui n’avaient pas de terres. Le bail était verbal, annuel, à moitié fruits, pour la culture du maïs et des haricots. L’hiver venu, chacun défonçait sa parcelle avec la bêche plate ou palon. Il arrivait même que, dans les nuits claires, après avoir couvert le feu et éteint le careil, toute la famille s’alignait sur le champ. On lançait quelques appels pour signaler sa présence aux équipes voisines qui répondaient, et puis, dans le grand silence de la lune baignant la vallée, on n’entendait plus que le choc des sabots sur le fer des outils. Pendant l’été, entre les lignes où les plantes étaient intercalées, la culture se continuait par de nombreux sarclages à la main. Le mauvais vent du Sud, l’Autan pourrait souffler, il n’aurait pas raison des maïs, il ne tordrait pas leurs larges feuilles luisantes en cordes lamentables. On n’expliquait