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leur mémoire des mots qui ne sont que des sons : nous leur offrirons des images saisissables et touchantes, fixées sur un fond que leurs yeux contemplent tous les jours, et qui à cause de cela deviendront dans leur activité psychique autant de petits foyers définitifs. Une nuit épaisse règne actuellement sur l’histoire dans le cerveau des paysans : nous y allumerons une ligne de minuscules lumières, qui, tout en se reflétant sur les maisons du village, jalonneront la longue route suivie par nos pères.

L’enseignement de l’histoire ne mériterait pas d’être fait à l’école primaire, s’il n’en devait sortir une idée éducatrice et bienfaisante, nécessaire à l’homme moderne, quel qu’il soit. C’est l’idée même de la continuité de la vie, le sentiment que nous sommes insérés par notre naissance dans cette continuité comme un anneau dans une chaîne, que nous sommes comptables de l’effort de nos devanciers envers nos successeurs, que nous devons leur transmettre cet effort additionné du nôtre. C’est la notion morale de l’héritage, des devoirs et des responsabilités qu’il implique, telle que la noblesse française l’imprimait dans le cœur de ses enfans. Toute notre histoire est remplie des beaux gestes que ce sentiment a inspirés. Il soutient encore bien des hommes qui entendent toujours servir la France, comme autrefois ils auraient servi le Roi, encore qu’ils y rencontrent parfois plus d’une difficulté.

Le jeune gentilhomme recevait cette notion directrice de tout ce qui l’entourait et l’accueillait dans la vie, des premiers récits dont il était bercé, des usages et des traditions de la famille, des liasses de vieilles lettres souvent relues, des portraits accrochés aux murs, des pierres mêmes du château. Pourquoi les petits paysans, les vrais fils de la même terre, ses fils les plus humbles, les plus fidèles, les plus méritans, ne recevraient-ils pas un enseignement analogue ? Pourquoi ne sentiraient-ils pas eux aussi ces excitations, douces et toniques à la fois, qui de bonne heure inspirent à l’homme l’orgueil de ses origines et l’ambition d’en rester digne ? Ils n’ont rien autour d’eux qui puisse les leur donner, ni château, ni archives, ni portraits d’ancêtres. Mais ils ont l’école, la petite école. Celle-ci doit tout faire et elle peut beaucoup. Elle peut toucher, ravir, entraîner ses écoliers, si elle sait leur montrer la grande œuvre du passé, d’où est sortie la France moderne, len-