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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

tion, les récompenser, les signaler à l’Assistance publique qui de préférence leur confierait ses pupilles.

Aucune précaution n’est inutile autour de ces admirations, à cause de leur fragilité. Sur le cerveau de l’enfant les impressions sont faciles, vives, mais non moins superficielles et fugaces. Les sentimens les plus opposés s’y succèdent avec une rapidité inouïe comme sur leur visage le rire n’attend pas que les pleurs soient séchés. C’est un jeu de substituer une admiration à une autre dans des âmes où la nouveauté d’un sentiment est le secret même de sa force. Là est tout le danger et il est très grand. La consistance augmente naturellement avec l’âge, mais de six à douze ans, la mobilité est extrême, et c’est précisément la période où des conditions nouvelles sollicitent, favorisent et excitent au plus haut point cette mobilité.

De six à douze ans, les écoliers font un grand et solennel voyage ; neuf fois sur dix, ils n’en feront plus de pareil, et les plus favorisés, ceux auxquels est réservé l’enseignement secondaire et supérieur, n’auront qu’à le recommencer dans d’autres conditions, avec des arrêts prolongés sur certains points plutôt que sur d’autres.

Dès son arrivée à l’école, le petit Gascon est tiré de son village et conduit à Toulouse, à Bordeaux, à Paris ; on le promène à travers la France et l’Europe ; on lui fait franchir les mers et parcourir les continens. On ne lui donne, il est vrai, que d’intimes clartés de toutes les sciences, mais on lui en raconte les triomphantes applications ; on lui montre les distances supprimées, la parole et la pensée portées avec la rapidité de l’éclair à travers l’espace, les solitudes de l’air disputées aux oiseaux, partout la matière vaincue et asservie, partout la terre trépidante de machines dont les unes ont la précision et la délicatesse des doigts les plus fins, et les autres soulèvent des blocs que des milliers de bras ne pourraient ébranler ; on évoque devant lui le long et curieux passé de l’humanité, moins troublant peut-être que l’effort du présent pour préparer un avenir dont l’image est enchanteresse. Pendant six ans, l’école tient l’âme de l’enfant dans un émerveillement continu. Que deviennent ses premières admirations auxquelles sa vocation agricole est liée ?

Nous pouvons témoigner que le voyage leur est funeste. Au retour, au lendemain du certificat d’études, quand nous chemi-