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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

autres, se lève pour entrer dans l’âme du nouveau-né et en commander le devenir. Pourquoi faut-il que ce soit souvent un aïeul inconnu, depuis longtemps oublié ?

Chacun de nous apporte en naissant son idiosyncrasie, et on sait que les médecins entendent par ce mot la tendance que nous avons à prendre certaines maladies ou à nous en défendre. La belle découverte de l’anaphylaxie, due à M. Charles Richet, et dont la Revue a récemment entretenu ses lecteurs[1], permet d’entrevoir le mécanisme par lequel la nature détermine notre personnalité physique en nous montrant celui des immunités et des sensibilités acquises. Notre personnalité morale est pétrie, elle aussi, de tendances et de répulsions. L’hérédité dépose en chacun de nous certaines sensibilités qui sont autant de germes différenciés d’admiration. Si ces germes rencontrent des circonstances favorables, ils fructifient en admirations précises, génératrices de vocations. Il arrive même que la vitalité de ces germes est telle que le moindre incident suffit pour les faire éclore, qu’ils se développent et aboutissent malgré tous les obstacles.

Inversement, il n’est au pouvoir de personne de faire naître une admiration dans des âmes qui n’ont pas été favorablement ensemencées, encore moins dans celles qui ont reçu des germes de défense et d’inhibition. Cela, même pour chacun de nous, est au-dessus de notre propre volonté. La volonté nous fera bien prendre un métier comme elle nous fait quelquefois épouser une femme : elle ne peut nous donner ni la vocation, ni l’amour. Il y faut un autre consentement intérieur, plus intime. En résumé, selon que nos âmes sont ouvertes ou fermées à certaines admirations, nous sommes prêts ou réfractaires aux vocations correspondantes.

Aucune vocation n’est plus héréditairement préparée que celle du petit paysan. Il doit à une longue série d’ancêtres laboureurs une sensibilité très vive au charme de la terre, et son admiration pour elle éclate dans tous ses propos, au moment où il entre à l’école. Appliquons-nous, pour la mieux défendre, à bien connaître cette admiration, qui offre ce triple caractère d’être personnelle, fragile, et particulièrement sensible à une cause spéciale de ruine.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1911.