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LA VOCATION PAYSANNE ET L’ÉCOLE.

progrès social semble tout en attendre ; nous ne reculons devant aucun sacrifice pour la réaliser par les institutions et les lois : elle prend les formes les plus diverses et les plus ingénieuses ; elle protège l’enfant dans le sein de sa mère, l’accueille par des bienfaits à sa naissance, entre avec lui à l’école, le suit pendant l’apprentissage et même au régiment. Les jeunes grandissent dans une atmosphère de solidarité et, malgré cette leçon continue et touchante, ils se dérobent dès qu’ils le peuvent à la plus facile, la plus naturelle, la plus sacrée des solidarités qui est celle de la famille.

L’individualisme très précoce, intense, un peu féroce des jeunes, voilà le fait capital. Sans doute on trouverait dans ses causes des fadeurs économiques, industriels, commerciaux, mais à côté de quelques autres fort importans qui ne sont rien de tout cela. L’étude de sa nature psychique intime nous révélerait peut-être qu’il est un phénomène de régression, un retour à des mentalités ancestrales, très primitives. Il est toujours un phénomène moral, et cela seul nous intéresse ici. La ruine de la natalité se prépare dans les cœurs avant de s’inscrire dans un fait économique qui en est la loi apparente ; et d’ailleurs exacte.

On ne peut guère voir de près ce qui se passe en Gascogne sans éprouver un sentiment de tristesse et de découragement. Il ne faut pas s’y abandonner. Le bien sort quelquefois de l’excès même du mal et les déchets que nous constatons sont sans doute les sacrifices nécessaires pour préparer le progrès. Gardons intacte, à l’abri de toute défaillance, notre foi dans le progrès ; s’il est une illusion, aimons sa piperie : il n’en est pas de plus nécessaire. La foi est ici la volonté même de vivre. Il arrive peut-être aux peuples comme aux individus d’être touchés par l’horreur de la mort, de se ressaisir au moment décisif dans un mouvement de recul et de trouver le salut dans un appel désespéré aux forces suprêmes de vie. Mais nous avons des raisons plus précises de croire que nous ne mourrons pas.

Nous devons à nos devanciers un capital d’aristocratie morale merveilleux, fruit de lentes accumulations qui se sont déposées comme les couches d’un terrain géologique. Nous ne l’utilisons pas toujours très bien, nous le gaspillons quelquefois et, malgré de sincères efforts, nous le renouvelons assez mal. Au fond, c’est sur lui que nous vivons. Quand on pénètre dans l’in-