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LE CHÂTEAU DE LA MOTTE-FEUILLY EN BERRY.

qui soit encore installé aussi complètement que curieusement dans sa situation primitive. On conçoit l’intérêt qu’éprouvent les archéologues pour cet instrument dont la présence en ce lieu fait un si piquant contraste avec tout ce que nous savons de la douceur angélique de Charlotte d’Albret. Il est bon de savoir du reste que ce n’était point là un instrument de pure torture, comme l’ont cru certains ignorans, mais bien un instrument de répression, de répression certes cruelle et brutale en rapport avec les mœurs de l’époque. N’ayant pu voir le cep de la Motte-Feuilly, j’en emprunte la description à M. Bonnaffé : » C’est un monument de charpente en chêne traité à merveille, composé de deux montans verticaux terminés par des pinacles à pans et portant sur des patins encastrés dans le solivage. Ces montans soutiennent trois larges traverses horizontales, pouvant glisser haut et bas dans les mortaises des montans. L’ensemble présente l’aspect d’une barrière solide et close. Chaque traverse est pourvue d’entailles demi-circulaires qui se correspondent et sont destinées à recevoir les jambes ou les poignets du prisonnier ; en rapprochant les traverses, on paralysait ses mouvemens, comme dans un carcan. Le cep suppose donc au moins deux traverses échancrées, se serrant l’une contre l’autre. C’est pourquoi, si on disait « un cep, » comme nous le lisons dans le texte de l’Inventaire, on disait aussi des « ceps. » Le plancher à jours avait sans doute pour objet de faciliter la surveillance des prisonniers par le geôlier posté à l’étage inférieur.

Au fond de la cour, au pied du donjon, des arcades portées sur d’antiques et lourds piliers supportent une chapelle dont la fenêtre gothique existe encore. Bien souvent Charlotte, de noir vêtue, a dû monter les marches du petit escalier qui y conduit pour aller prier et pleurer devant l’autel. Les anciennes douves ont été converties en pelouses. Les ouvrages extérieurs de défense ainsi que deux tours ont disparu. Le parc qui entoure le château abonde en beaux arbres, en charmans points de vue sur les grandes landes des Chaumois, vaste plaine de genêts, d’ajoncs et de bruyères aux acres parfums. Ce paysage est d’une tristesse infinie. Près du château, on montre un if colossal, plusieurs fois centenaire, étayé sur de vraies béquilles, qui passe pour avoir été contemporain de Charlotte. Peut-être s’asseyait-elle souvent à l’ombre de cet arbre pour assister aux jeux de sa fille, pour rêver et prier.