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LE CHÂTEAU DE LA MOTTE-FEUILLY EN BERRY.

en présence de « damoiselle Loïse, » fille unique et héritière universelle de la défunte, en présence aussi de ses exécuteurs testamentaires, des gens de sa maison, des représentans de son père Alain d’Albret et de Louise de Savoie, comtesse d’Angoulême, tutrice, à cet Inventaire dont je viens de résumer les somptueuses énumérations, et fit lever les scellés des salles et chambres qui, dès le décès, avaient été soigneusement fermées, scellées et murées, « vu la minorité de la dite damoiselle Loïse Borgia. » L’Inventaire fut clos le 16 mai. Six cent soixante-dix-sept numéros avaient été catalogués en cinq jours.

L’antique château de la Motte-Feuilly, construit par Drouin de Voudenay dans les premières années du XVe siècle, existe encore en grande partie dans la plus mélancolique, dans la plus ombreuse et romantique solitude, caché dans un nombreux groupe d’arbres dont le feuillage touffu fait dans la belle saison à cet austère et fier donjon du moyen âge un entourage si sombre, si impénétrable que le visiteur surpris, comme opprimé par une sorte d’angoisse religieuse, semble pénétrer subitement dans la nuit. Je m’y suis rendu avec des amis par une des splendides journées de l’été dernier. C’était au déclin du jour. Nous venions de visiter le beau château de Culan, vieille forteresse médiévale orgueilleusement campée sur la rive de l’Arnon. Nous avions pris la route du retour vers La Châtre, et, après avoir dépassé Châteaumeillant, nous nous étions légèrement détournés vers la gauche. Nous avions atteint les humbles chaumières qui forment à elles seules l’agreste bourg de la Motte-Feuilly. Bientôt nous avions pénétré sous les ombrages silencieux qui font en été à la vieille demeure de Charlotte d’Albret une si sombre, une si noire ceinture. L’impression, en quittant la grande route et ce ciel de feu, était extraordinaire. Le soleil se couchait dans un horizon enflammé et brûlant. Autour de nous l’ombre envahissait cette superbe fouillée sous laquelle se dressaient les tours et les murailles du donjon. Hélas ! une consigne rigoureuse en interdisait la visite. Nous ne pûmes qu’admirer la belle enceinte et jeter de la porte un coup d’œil sur la cour d’honneur.

L’antique demeure doit être restée à peu près telle que lorsque Charlotte d’Albret y vivait seule et résignée, sauf que la démolition d’une portion de l’enceinte crénelée entre le portail et la grosse tour a amené quelque lumière dans la cour.