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milles livres de rentes accordées par le roi de France, stipulées dans le contrat. De l’existence de la jeune veuve et de sa fille au berceau dans cette toute petite cité berrichonne nous ignorons tout. Charlotte dut y vivre déjà dans la piété et le recueillement, qui n’excluaient pas le luxe en rapport avec son sang. Elle fit du moins un voyage à Paris, car les archives de Pau contiennent une pièce datée du jeudi 20 février de l’an de grâce 1504, par laquelle Charlotte, à Paris, au Châtelet, « en présence de Jacques d’Estouteville, chancelier du Roi, garde de la Prévôté de Paris, déclare avoir reçu l’acte par lequel les trésoriers généraux de France s’étaient engagés le 19 mai 1499 à payer au sieur d’Albret, son père, la somme de cent mille livres à l’occasion du mariage de sa fille : » elle promet en outre à son père de faire usage de cette somme bien et dûment en acquisitions nécessaires, du vouloir et du consentement du dit père, et si les deniers sont mal employés par elle, elle rend absolument indemnes de toute responsabilité son père et son mari.

Ne s’occupant guère que de l’éducation de sa fille, d’exercices pieux et de charités, Charlotte menait au fond du Berry la vie la plus isolée. Sa seule joie était d’aller le plus souvent qu’elle le pouvait visiter à quelques lieues d’Issoudun, dans le château de Bourges, la reine répudiée Jeanne de France. Après le procès de l’an 1498, Louis XII avait donné à la sainte princesse le duché de Berry à titre d’usufruit, avec les revenus des greniers à sel de Bourges, de Buzançais, de Pontoise, celui des aides et impositions du Berry, et le droit de nommer aux offices royaux, sauf au commandement de la Crosse Tour de Bourges dont il se réservait l’administration comme prison d’État. Il lui garantissait en outre un beau douaire de trente mille livres.

Le 13 mars 1499, Jeanne avait fait dans la cité de Bourges son entrée solennelle. Elle s’installa dans le vieux palais, vaste construction féodale où jadis Charles VII avait reçu Jeanne d’Arc, et inaugura immédiatement cette existence, tout entière consacrée à l’exercice des plus hautes vertus de charité et de piété, qui lui valut à cette époque une si touchante renommée et plus tard l’honneur d’être mise au nombre des bienheureuses. Non contente de combler de ses bienfaits les humbles, les malheureux, les déshérités, de fonder cet ordre de l’Annonciade depuis si célèbre et dont le premier monastère devait s’élever