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en effet, le hasard des négociations diplomatiques allait faire d’elle l’épouse de César Borgia, le terrible fils du pape Alexandre VI, alors dans tout l’éclat de sa courte, brillante et dramatique carrière. Voici le plus bref résumé des faits nécessaires à l’histoire de cette extraordinaire union :

Je n’ai pas à revenir sur les débuts de l’aventureuse, romanesque et violente existence de César Borgia, le plus bel homme de l’Italie au dire des contemporains, peut-être aussi le plus cruel. Né en avril 1476, des relations de son père, alors cardinal vice-chancelier, avec Vannozza, dame romaine, il avait, étant étudiant à l’université de Pise, et malgré son jeune âge, déjà archevêque de Pampelune, reçu la nouvelle de l’élection de son père au souverain pontificat le 11 août 1492. Depuis, sa carrière avait été aussi éclatante que rapide, étrangement favorisée par l’élévation au trône pontifical de ce père qui le chérissait. Dès le Blois de septembre de cette même année, bien qu’il n’eût jamais marqué aucun goût pour le sacerdoce, il avait été fait cardinal de Valence en Espagne, ce qui ne l’empêchait pas de s’habiller à la française, more gallico, de chasser sans cosse, portant l’arme au côté, de mener la vie la plus fastueuse et la plus dissolue. Un an après, en septembre 1493, il entrait de fait au Sacré Collège comme cardinal effectif au titre de Santa Maria Nuova, après qu’on eut établi par des preuves la légitimité de sa naissance. Il n’était encore à ce moment que diacre. Il ne reçut du reste jamais que les quatre ordres mineurs et témoigna constamment de la plus grande répulsion pour les liens fragiles qui l’attachaient à l’Église.

Je n’insisterai pas sur l’histoire de ce brillant parvenu durant les années suivantes, années remplies surtout par l’expédition de Charles VIII en Italie, puis par l’entrée solennelle à Home d’un autre fils du Pape, Gioffre, prince de Squillace, et de son épouse doña Sancia, fille naturelle d’Alphonse, duc de Calabre, par la première campagne des troupes pontificales contre les barons romains, par l’assassinat dans la nuit du 14 au 15 juin 1497 du fils aîné du souverain pontife, le duc de Gandia, assassinai que l’opinion publique tout entière imputa aussitôt à César, par la mission enfin de celui-ci à Naples pour y couronner le nouveau roi Frédéric.

Le meurtre de son aîné fut la cause principale d’un grand changement dans les destinées de César. Depuis longtemps, il