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société qui les néglige et qui les renie… Sois avec les faibles et les opprimés ! Unis-toi à ceux qui s’unissent ! Entends-tu le bruit sourd que fait en s’avançant l’immense armée des va-nu-pieds ? Sois généreux, et marche avec tes frères malheureux !… »

Mais fallait-il prêcher aussi la lutte des classes ? Ici, Pascoli reculait. Il se représentait le tableau d’une société divisée en deux camps, les pauvres et les riches, s’observant avec férocité. Pas d’autre communication entre eux que des défections : de temps à autre, un de ceux qui étaient mal habillés passait à ceux qui sont bien vêtus, trahissant sa foi : ou bien un des riches passait aux pauvres, et ce n’était jamais le meilleur. Puis venait la bataille entre les frères ennemis, l’âpre lutte, où le frêle progrès qui avait lentement fleuri au cours des siècles disparaissait, écrasé… De cette vision, que son instinct de poète lui peignait avec la force des réalités, Pascoli avait horreur. Il aimait mieux renoncer aux dogmes du socialisme ; répudier la justice, pour revenir à la charité : « Voici la hase de mon socialisme : l’accroissement certain et continu de la pitié dans le cœur de l’homme. » Se trouvant en désaccord avec ses principes, il se retrouvait, d’accord avec son tempérament. Lorsqu’on se moquait de cette faiblesse, qu’on souriait de ces rugissemens de lion qui se transformaient peu à peu en bêlemens d’agneau, et que les camarades d’autrefois parlaient de trahison, il répondait qu’il s’était détaché des partis pour conserver une foi ; qu’il ne craignait pas lu sort des apôtres lapidés, pourvu qu’il eût le même succès qu’eux auprès des âmes jeunes, auxquelles il s’adressait de préférence ; et, beau d’illogisme, il célébrait maintenant dans ses hymnes et dans ses odes les événemens les plus disparates de la politique contemporaine, du moment où il trouvait dans chacun d’eux pris à pari un air de grandeur ou de bonté.

Ce n’est pas tout. Socialiste, il devait être internationaliste ; et il le fut. À mesure qu’il diluait sa violence, son pacifisme devait s’accroître : et en effet, il s’accrut. Une des raisons qui lui firent proclamer la faillite de la religion fut que le christianisme s’est trouvé impuissant à guérir la plaie de la guerre. Toujours des égorgemens ! Les portes du temple de Mars toujours ouvertes ! Le droit de la force toujours prêt à se manifester, au prix de milliers de victimes ! Les peuples européens, non contons de se battre entre eux, toujours occupés à porter dans les colo-