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GIOVANNI PASCOLI.

Il n’était pas croyant. De son enfance pieuse, il est vrai qu’il avait conservé de très doux souvenirs. Il se rappelait l’émotion attendrie qu’il éprouvait, lorsqu’en assistant à la messe il entendait le prêtre parler avec l’invisible. Il revoyait les soirs d’été où il rentrait au collège avec une ample moisson de genêts ; ses camarades et lui les disposaient dans la chapelle, en guirlandes et en bouquets. : alors il sentait « je ne sais quoi de solennel, de tendre et de frais, comme un parfum d’encens, comme un écho d’hymne, dont était plein son cœur pieux le soir d’une fête. » Plus fidèlement encore que la poésie du culte, il avait gardé l’esprit de la religion du Christ : l’humilité, la charité, et l’espoir de la grande paix qui doit venir sur la terre aux hommes de bonne volonté. Mais il avait rejeté les dogmes, une fois pour toutes ; et il n’y revint plus. La croyance en la vie future lui semblait néfaste, comme un « alcoolisme intellectuel » dont on enivrait les hommes pour les empêcher de penser à leur condition réelle. Leur condition réelle, c’est la mort, et puis le néant. Vérité qu’il convient d’envisager avec tristesse, mais sans le désespoir des pessimistes et des sceptiques. Car il y voyait la source de tout perfectionnement : on aime ses frères d’un amour plus actif, quand on sait qu’on est destiné à les aimer peu de temps ; on se hâte de faire le bien ici-bas, quand on est persuadé qu’il n’y aura plus ni bien, ni mal dans l’au-delà.

N’étant plus chrétien, il était socialiste ; rien n’est plus logique. Ceux qui ont besoin d’un idéal le reportent tout naturellement sur la terre, après qu’ils ont vu le ciel fermé. Parmi toutes les convictions que l’étudiant de Bologne portail jadis en lui-même et qui allaient changer, celle-ci ne changea pas : une plainte s’élève des bas-fonds de la société ; ceux qui possèdent et ceux qui savent sont coupables s’ils ne font rien pour l’apaiser ; étant responsables de la misère, ils sont responsables des crimes. Pascoli trouvait des accens d’une émotion profonde, pour parler aux jeunes de la dure condition des travailleurs. « Sois juste, et pense à ceux qui souffrent. Regarde comme ils grattent la terre, creusent le sol, frappent sur le fer et le feu, n’ayant jamais de repos, ayant toujours faim… Regarde avec quelle injustice on exige qu’ils soient bons, quand ils souffrent, et ne peuvent rien voir autour d’eux que le mal. Regarde avec quelle stupidité on permet qu’ils ne sachent rien, pour prétendre ensuite qu’ils sachent une chose : respect à la