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deviner. Son ambassadeur fut chargé de le faire voir au ministre britannique des Affaires étrangères, et il s’acquitta de cette tâche de telle façon que, bien que très maître de lui, à l’ordinaire, et réputé pour un homme qui se possède admirablement, sir Edward Grey eut à son tour un sursaut de vivacité. « Le ton de ce document était excessivement rude, et je jugeai nécessaire de déclarer que le discours du chancelier de l’Échiquier ne me paraissait donner motif à aucune plainte, que la surprise suscitée par sa publication en Allemagne prouvait combien il était opportun. Sans un semblable avertissement, on aurait pu croire, en effet, que nous consentions à rester à l’écart des négociations. » Ici, le choc. « Le gouvernement allemand a dit continua sir Edward Grey, qu’après le discours du chancelier de l’Échiquier, sa dignité ne lui permettait plus de s’expliquer sur ce qui se passait à Agadir. Le ton de la communication qui m’est faite rend incompatible avec ma dignité de m’expliquer sur le discours du chancelier. » Il n’est, comme on dit, que de « causer ! » L’effet de ce dialogue bref, mais franc, fut salutaire, et quand le 27, ayant sans nul doute, dans l’intervalle, transmis à Berlin une « phonographie » de l’entrevue aussi fidèle que sait l’enregistrer la mémoire spéciale d’un diplomate, le comte Wolff-Metternich reprit le chemin du Foreign-Office, son humeur était toute radoucie. L’Allemagne espérait que sir Edward Grey était pleinement rassuré, qu’il tenait pour certain que les pourparlers avec la France n’affectaient point les intérêts britanniques, et que, dans sa loyauté reconnue, il le déclarerait au Parlement, « sans rien dire toutefois de notre communication confidentielle. » En revanche, qu’il veuille bien déclarer publiquement son grand désir d’une entente franco-allemande. Une pareille affirmation aiderait beaucoup à obtenir un résultat favorable. « Si les vœux de l’Angleterre vont à la paix, qu’elle exerce une influence calmante sur l’opinion française qui, grâce à la révélation de demi-vérités, a été portée à un état d’excitation considérable. » Peut-être M. de Wolff-Metternich a-t-il cru que, dans ces phrases pourtant transparentes, il enfouissait profondément sous les mots la pensée allemande, et que le jeu était invisible. L’opinion française, voilà la menace : quant à l’Allemagne, que voulait-elle ? Non point, évidemment, « ambitionner des rapports intimes avec la France ; mais faire disparaître les points de conflit, d’abord dans la sphère coloniale, particulièrement en Afrique, et là supprimer au moins un sujet de querelle chronique. » Toujours parfaitement courtois, sir Edward Grey se fit un plaisir de charmer l’ambassadeur allemand par son empressement à l’en croire :