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Nathalie, lui arrachant la lettre des mains. — À quoi bon ? N’avez-vous pas vu tout à l’heure, en passant, la tombe creusée pour vous recevoir ? Les instants pressent ! Allons, rasseyez-vous, et écrivez !

Hombourg, en souriant. — En vérité, on se figurerait, à vous entendre, que la mort est une panthère déjà toute prête à s’élancer sur moi !

Nathalie, après s’être détournée pour pleurer. — Écrivez, je vous on supplie, si vous ne voulez pas que je me fâche !

Hombourg, déchirant une lettre commencée, et la jetant sous la table. — Non. ce début est trop inepte ! (Il prend une autre feuille.)

Nathalie, qui a ramassé le papier à terre. — Comment ? Que disiez-vous ? Mais au contraire, cela était excellent !

Hombourg. — Bah ! c’était le ton d’un vil coquin, et non pas d’un prince ! Il m’est venu à l’idée une formule bien meilleure ! (Un silence. Puis Hombourg se retourne, et veut reprendre la lettre de l’Électeur.) Au fait, qu’est-ce donc qu’il dit exactement, dans sa lettre ?

Nathalie, essayant de retenir le papier. — Mais rien, rien de particulier !

Hombourg. — Laissez-moi voir !

Nathalie. — Mais vous l’avez lue !

Hombourg. — N’importe ! Je veux simplement voir comment je dois répondre ! (Il déplie la lettre, et la lit.)

Nathalie, à part. — Mon Dieu, il est perdu !

Hombourg. — Regarde donc, Nathalie ! Ceci est singulier, en vérité ! As-tu bien lu cette phrase ?

Nathalie. — Non ! Quelle phrase ?

Hombourg. — C’est à moi-même qu’il laisse le soin de décider !

Nathalie. — Mais oui, sans doute !

Hombourg. — Voilà, en vérité, qui est grand, et tout à fait digne de lui !

Nathalie. — Oh ! sa grandeur d’âme, je te l’ai dit, est sans limites ! Mais, à ton tour, fais ton devoir, et écris ce qu’il te demande ! Cette phrase, vois-tu, n’est qu’un prétexte, une simple formalité indispensable. Aussitôt qu’il aura un mot de ta main, rien ne subsistera plus de toute l’affaire !

Hombourg, déposant la lettre sur la table. — Non, ma chérie, il faut que je réfléchisse encore là-dessus jusqu’à demain !

Nathalie. — Insensé ! Qu’est-ce que tu inventes là ? Quel scrupule incompréhensible…

Hombourg, se relevant impétueusement de sa chaise. — Non, je t’en supplie, ne me demande rien ! C’est que, vois-tu, tu n’as pas bien pesé le contenu de sa lettre ! Que l’on m’ait fait une injustice, il m’est impossible de lui écrire cela ! Et si tu exigeais à tout m de moi une réponse immédiate, aussi vrai qu’il y a un Dieu, je devrais lui écrire : « Ce que vous m’avez fait n’était que trop juste ! » (Après une longue scène muette, pendant laquelle il a encore, une ou deux fois, regardé la lettre de l’Électeur.) Au fait, pourquoi hésiter ? Je le sais dès maintenant, ce que je dois écrire (Il reprend la plume.)

Nathalie, éperdue de douleur. — Mon doux ami ! Certes, j’admire les sentimens qui se sont emparés de ton cœur ! Mais il y a une chose que je puis te jurer : c’est que le bataillon est déjà commandé qui demain, à l’aube, doit exécuter la sentence du Conseil de guerre. Et que si tu n’écris