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Quels combats à l’entour d’une graine brisée,
D’une goutte en suspens qu’oublia la rosée,
Pour étancher des soifs ou grossir des butins !
Combats dont les héros qui, pour nous, sont des nains,
Semblent sans doute à des batailleurs plus infimes
D’invincibles géans, monstrueux et sublimes !

Où commence, où finit la Vie, avec l’effort
Pour la garder, malgré la souffrance et la mort ?
Dans ce fourmillement pas un animalcule
Qui ne pense, puisqu’il se dirige et calcule.
À quel degré de l’être, en la création,
Cessent donc, avec l’âme, instinct et passion ?
Derrière ces milliers d’insectes mal visibles,
Que de milliers encor sont plus imperceptibles,
Condamnés cependant à lutter et vouloir,
Mais qui n’auront jamais pu même apercevoir
L’Homme trop grand pour eux et dont l’étrange forme
Leur est, en se mouvant, un phénomène énorme,
Terrible, insaisissable à leurs yeux hébétés !

Hélas ! nos sens, à nous, sont-ils moins limités ?
Savons-nous s’il n’est pas dans l’Univers immense
D’autres vivans cachés pour nous, d’une autre essence,
Si différens de nous qu’impuissans à les voir
Ou les toucher, nous ne saurions les concevoir
Ou, n’y retrouvant rien à notre ressemblance
Ne pouvons en saisir que la vaine apparence,
Et qui, pourtant, plus, grands, plus complets et plus forts,
Mêlés à notre vie, agissent sur nos sorts ?
Nous nous croyons, c’est vrai, devenus raisonnables :
Les Dieux heureux qu’aux jours fleuris des jeunes fables
L’Homme écoutait parler dans les eaux et les bois,
Ont, avec leurs beaux corps, perdu toutes leurs voix,
Et du ciel où leurs chants ne se font plus entendre
Les Anges du Soigneur ont cessé de descendre.
Pourtant, pourtant ! Là-haut, où nous ne croyions voir
Que des astres muets et sans yeux se mouvoir,
Peut-être, accomplissant des tâches volontaires,
Veillent, dans tous leurs feux, des âmes de lumière ?