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Muets, ravis, beaucoup s’assoient là, sans rien dire.
Quelques femmes s’essaient, gauchement, à sourire
Comme là-haut ces sœurs des pays inconnus,
Dont les voiles dorés étonnent leurs seins nus :
Pour sauter en mesure et s’agiter comme elles,
Leur torse s’assouplit en des poses nouvelles,
Leurs bras se tendent vers les beaux adolescens ;
Et des couples s’en vont, trébuchans et glissans,
Bientôt suivis, dans leurs élans de courses folles,
Par les enfans, rythmant aussi leurs cabrioles,
Tandis que les chasseurs, s’échappant des halliers,
Pour voir ce qui se passe oublient les sangliers.
Eux aussi, les voilà, brûlés d’étranges flammes ;
Qui pensent, tout à coup, à se choisir des femmes
Dont les lèvres en fleurs et les bras caressans
Ne soient plus, comme hier, ouverts à tous passans ;
Chacun d’eux a saisi celle qu’il croit plus belle,
Et l’entraînant d’un bond hardi, tourne avec elle
Dans la ronde en gaîté qui s’allonge et s’étend,
S’étend sans cesse et se bouscule, en répétant,
Comme elle peut, les chants et refaisant les gestes
Qu’elle entend et voit faire aux messagers célestes.
Et plus le soleil monte aux cieux lourds et brûlans,
Plus leur ivresse est douce aux danseurs chancelans.

Les Déesses, d’abord, hères de leurs conquêtes,
S’applaudissaient d’avoir ému ces pauvres têtes :
Elles savent qu’avant une fois dégusté
Le nectar d’harmonie et le vin de beauté,
Il n’est troupeau si vil d’abjectes créatures
Qui veuille retourner vers les fanges impures
Où s’abreuvaient, dans leur ignorance du mal,
Les monstrueux désirs de l’instinct bestial.
Fallait-il tant d’efforts pour ces métamorphoses ?
N’ont-elles pas, d’un coup, versé trop fortes doses
D’un philtre plus puissant que tous ceux de Circé ?
Déjà la chaleur tombe et le jour a baissé,
Sans que la sarabande, imprudente et ravie,
Cesse de démener son heureuse folie