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Et, les faisant parer comme pour un concert,
Aux grands dieux assemblés sur le Parnasse offert,
Leur dit : « Filles, prenez tous vos luths et cithares ;
Il faut apprivoiser aujourd’hui ces Barbares. »
Puis l’on fit route au long des cavernes et trous,
Où, pêle-mêle et disputant leur gîte aux loups,
Les sauvages avaient dormi la nuit dernière.
Tous, réveillés au bruit, sortaient vers la lumière.

Le Dieu, sur un sommet, s’est dressé, radieux,
Secouant dans l’azur l’or clair de ses cheveux,
Et, frappant sur sa lyre, entonne, à voix profonde
Le salut de la Vie à la Terre féconde
Où les mois, les saisons, les naissances, les morts,
Se succèdent sous l’œil vigilant des dieux forts.
Il chante le printemps et l’été, chers au pâtre,
L’automne sous la vigne et l’hiver devant l’âtre
Avec tous les plaisirs, les travaux, les pensers
Qu’assurent aux vivans leurs retours cadencés.
À ces accords vibrans de la voix et des cordes
Un frisson inquiet suspend le pied des hordes :
Tous, l’oreille tendue et les yeux éblouis,
Noyés sous ce torrent de rayons et de bruits,
Se prosternent, d’abord, adorant, sans comprendre
Comment un Dieu si beau, qu’il est si doux d’entendre,
Succède au Dieu caché qui tonnait autrefois.

Mais, dès qu’aux sons des luths mêlant aussi leurs voix,
S’élancent, à leur tour, les Muses enhardies,
Et, pour scander aux yeux l’essor des mélodies,
Ont frappé, d’un pied souple et vif, le vert gazon,
La foule se redresse ! Et c’est à l’horizon,
Soudain, comme un reflux d’êtres nus et hirsutes,
Accourant en désordre, avec bonds et culbutes,
Gris et ricanemens pareils à des abois
Dont s’effare l’écho surpris au fond des bois,
Le tumulte, pourtant, diminue à mesure
Qu’il s’approche, et que, sous une extase plus pure
S’éveille, par degrés, dans le charme des sens,
L’âme qui sommeillait en ces corps innocens.