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d’artifice et des arquebusades, de l’accord des tambours, cuivres, flûtes et violons. Après les aubades et les sérénades, les musiques s’en allaient jouer des airs lugubres autour du couvent des Ursulines et de la maison des Missionnaires d’où le capucin, directeur de l’abbesse, n’osait plus sortir. Il ne comptait plus les brocards et les avanies d’une jeunesse exaltée, qui promettait de lui faire un mauvais parti. Louise entendit aussi des harangues ; il y en eut du maire et des consuls de la ville. Jusqu’aux cloches qui sonnèrent pour des messes d’actions de grâces ! Seule, l’abbesse des Ursulines ne désarmait point. Mme de Cabris s’étant présentée à la grille du couvent pour y faire ses remerciemens aux religieuses qui l’avaient soutenue dans son épreuve, elle lui fit refuser le parloir : cette idole du monde lui semblait le charivari en personne. Mais bien au contraire, Louise avait le plus ferme propos de vivre avec tout l’effacement possible dans la maison honorable et distinguée qui lui donnait l’hospitalité. Cette retraite était le meilleur moyen de démentir les méchans pronostics de ses ennemis et de déconsidérer, s’il en était besoin, leurs anciens griefs. Elle y réussit parfaitement, en dépit des pièges et de la tentation. Au long des six mois qu’elle passa encore à Sisteron ou dans les environs avant d’aller rejoindre sa mère à Paris, M. de Briançon ne fit pas mine de se rapprocher d’elle une seule fois.


Rongelime avait usé le fer de ses barreaux. Mais quelle disgrâce ! il ne lui restait presque plus de dents ; et sa vie, écoulée déjà plus qu’à moitié, était pour jamais défleurie comme son visage. Cette jeune femme — moins de trente ans ! — ne paraissait plus qu’une femme encore jeune. A cet âge où l’existence, d’ordinaire, jouit de sa plénitude, Louise ne se relevait des ruines du passé que pour entrer dans un avenir frappa de stérilité par tant de poussière et de décombres. Epouse, elle n’avait pour ainsi dire plus de mari ; mère, plus d’enfant ; femme, plus d’état ni de fortune ; et ses deux familles la repoussaient, après l’avoir dépouillée de tout, de l’honneur même. Il ne lui était possible de recouvrer les restes de ces biens fort diminués qu’en s’engageant dans une suite interminable et ruineuse de procès. Cette marche ne lui fit pas