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tendant à la délivrance de sa fille. « Au train des choses, rapporta le marquis au bailli (26 mai), je pouvais en prévoir l’effet. Je rugis intérieurement et sentis une portion de caractère féroce se débattre en moi à l’idée de voir ici cette créature affichant l’intrigue et la prostitution. Je méditai, je griffonnai, et finalement, Dieu m’a fait la grâce, d’en revenir d’esprit et de cœur à ce que mes amis m’ont tous recommandé en m’embrassant… » Et c’était de ne plus s’opposer à rien, de laisser venir. Il rouvrit les bras à son fils, lui accorda le pardon le plus solennel et le plus complet de toutes ses fautes et l’installa à demeure dans son hôtel, pendant que l’ordre suivant courait la poste, à l’adresse des Dames Ursulines de Sisteron :

« De par le Roi : Chères et bien aînées, nous vous mandons et ordonnons de mettre en liberté la dame marquise de Cabris que vous détenez par nos ordres dans votre maison. Si n’y faites faute ; car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le 28 mai 1781. » Signé : Louis, et plus bas : AMELOT.


L’abbesse reçut cet ordre par les mains du subdélégué de Sisteron. La ville en eut connaissance la première. En un clin d’œil, plusieurs centaines de personnes furent rassemblées sous les fenêtres du couvent, réclamant à grands cris la sortie immédiate de la libérée, objet depuis trois ans de la vénération et de l’amour de tout le canton. La supérieure résista ; le subdélégué dut user de son autorité pour la faire céder. Pendant que se débattait ce petit conflit, Louise se tenait dans sa chambre devant son écritoire ; et là, sans que sa main trahît aucune émotion, elle traçait de sa petite écriture rectiligne, serrée et nouée comme du point de chaînette, des billets pour son père et son oncle dont elle attendait les ordres, leur disait-elle, pour régler ses pas. On vint l’interrompre pour la prier de se laisser voir par une fenêtre et de calmer ainsi le tumulte croissant. Elle n’y consentit pas, mais on l’entraîna. En la voyant portée, on la crut très malade ; sa vue rendit l’émotion délirante. Elle obtint un peu de silence pour remercier la foule, l’inviter à se disperser et lui annoncer qu’elle ne sortirait que le lendemain. On ne lui obéit que pour aller préparer, à moins de cent pas de là, sur la place de la cathédrale, un feu de joie, des illuminations et des concerts. Dès le soir, et durant plusieurs jours, la montagne et la vallée retentirent de l’explosion des boîtes