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Noël ou le nouvel an au plus tard : et la sage pensée lui était venue de soustraire la recluse des Ursulines à l’étourdissement de ses premiers pas au dehors en la recueillant, dès sa sortie, dans son château voisin de celui de Mirabeau. À cheval, habillée et bottée en homme, et suivie d’un seul laquais, malgré l’insécurité des grands chemins, Mme de Limaye avait pris à la fin de décembre la route de Sisteron. En passant, elle rendit visite au bailli de Mirabeau pour sonder ses sentimens à l’égard de sa nièce. Le bailli l’avertit qu’elle courait à une déception, que Rongelime était plus serrée que jamais dans sa prison et que l’accès de son parloir était interdit à tous venans, quelle que fût leur qualité. Mme de Limaye se regimba, soutint que ce parloir ne devait jamais être fermé pour une femme comme elle, et prit congé, piquant des deux. Elle n’était pas loin quand un présage plus désagréable l’arrêta : elle tomba de cheval et se blessa. Mais, quoique fort endolorie, elle s’obstina à renfourcher sa bête. Le 30 décembre, à la nuit tombante, elle battait la porte des Ursulines de Sisteron. La sœur tourière la connaissait bien et lui était toute dévouée, ainsi qu’à Mme de Cabris. Elle lui refusa néanmoins l’entrée. Irritée par l’obstacle, Mme de Limaye se jeta contre la porte qu’on lui tenait close et la secoua si fort que la serrure et un arc-boutant sautèrent ; mais elle ne put aller plus avant. Regagnant alors son auberge, elle en fit apporter une échelle au couvent, l’appliqua sous une fenêtre peu élevée, força le contrevent, brisa une vitre, tourna l’espagnolette et pénétra, tandis qu’on remportait l’échelle. Après des tâtonnemens et des appels, elle rencontra dans les couloirs une religieuse de ses amies ainsi que la femme de chambre de Mme de Cabris, qui la conduisirent auprès de celle-ci. Louise coucha sa cousine dans son lit, la pansa, la calma ; et le lendemain matin, elle tenta de la faire sortir. Mais la supérieure avait fait barricader toutes les issues. Mme de Limaye était prisonnière.

Cette supérieure, récemment élue, avait été bien choisie, d’après les conseils du bailli de Mirabeau et de l’évêque de Sisteron, son ami. On était allé la chercher au couvent de Pont-Saint-Esprit où M. de Cabris avait une sœur religieuse. C’était une maîtresse femme. Pour échapper à toute suggestion opposée à ses vues de rigueur, elle avait amené avec elle son directeur-aumônier, un capucin qui logeait à portée d’elle, chez les missionnaires. Elle ne manqua pas de voir dans l’esclandre causé par