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son père ; le ministre Martine le présidait : lui-même, Lenoir, en était le rapporteur. Boucher ne s’en doutait même pas. En cette circonstance, comme en beaucoup d’autres, sans doute, il était le premier commis du secret, moins le secret.

Ce petit commissariat avait été formé le 14 octobre. Mme de Cabris lui fit tenir, en date du 22, un plaidoyer décisif et sans phrases oiseuses. C’était un bordereau, à peine commenté, de diverses lettres originales de son frère ; sa justification en ressortait clairement. Louise entrait d’un front serein dans ce vilain fouillis ; elle en sortait de même après l’avoir débrouillé. Le sentiment exalté du droit foulé en sa personne, la vue claire de son but et la certitude enfin acquise de sa réhabilitation, la dirigeaient, la dominaient toute. Ses raisonnemens établis, ses preuves énumérées et produites, elle concluait :


D’après cela, que le marquis de Mirabeau ose encore accuser sa fille ; qu’il s’obstine à la présenter comme une femme incestueuse, ainsi qu’il l’a fait devant témoins l’année dernière ! Il était réservé à ce père d’accuser à la fois sa fille, premièrement d’avoir un amant (ce qui n’est pas soumis à sa juridiction), et dans le même temps, à la même heure et sous ses yeux, de vivre criminellement avec son frère, et de s’aider au même instant à placer dans le lit de ce frère une femme pour laquelle il nourrissait la plus violente passion.

À cet assemblage hideux de tant d’horribles et délirantes accusations, à ces contradictions physiques qui seules détruiraient toute l’atrocité de l’imputation, on répond par des preuves dont la volonté et l’intérêt du marquis de Mirabeau n’anéantiront pas l’existence.

Mme de Cabris fut à Thonon. Elle ramena son frère en France. File ne protégeait donc pas de fait sa fuite et ses égaremens. Le comte de Mirabeau passa quelques jours à Lyon sous les yeux, sous les auspices de sa sœur et de plusieurs autres personnes. La marquise de Cabris l’envoya en France à deux cents lieues de Mme de Monnier. Elle ne voulait donc pas-le garder à son profit, et elle rentra à son couvent. La conduite de Mme de Cabris prouve clairement qu’elle espérait que le temps et l’éloignement calmeraient la tête du comte, et qu’il lui serait facile alors de le ramener à la raison…

Quel est donc le véritable crime de la marquise de Cabris, ce crime qu’on voulait punir ? C’est d’avoir demandé à M. le bailli de Mirabeau l’acquittement de 30 000 livres qu’il lui devait sur parole et, qu’il a refusé de payer ; d’avoir prêté 20 000 francs à la marquise de Mirabeau, de s’être tenue auprès d’elle pendant son procès, d’avoir sollicité sa liberté pendant sa détention ; c’est surtout d’avoir envoyé de Provence, conjointement avec son mari, une procuration en date du 13 septembre 1777 pour faire demander secours au parlement de Paris en faveur de leur mère et belle-mère.

La marquise de Mirabeau défendue par son gendre et sa fille aurait