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visiblement fait pour être injurieux et imprimé. C’est où je l’attends. Je suis fait à ses impuissantes attaques. Elle n’en deviendra que mieux l’horreur et l’effroi de tous les honnêtes gens… Je dédaignerai désormais de la démentir… De mon temps, elle n’échappera qu’à bonnes enseignes ; après moi, elle justifiera les mesures d’honneur et de devoir prises pour la ravir à de justes supplices, et la Providence finira par la faire manger aux chiens… Si Mons de Gruel m’arrive, nous aurons bientôt tout dit.


Gruel n’en partit pas moins en ambassade, accompagné de Briançon qui s’en était venu prendre à Sisteron les dernières instructions de Louise. Leur arrivée fit un peu de peur à l’Ami des Hommes ; elle coïncidait avec l’annonce d’une reprise des procès de sa femme contre lui. Il n’ignorait pas non plus que la police, dont le chef, M. Lenoir, ne l’aimait pas, avait comploté de mettre en liberté à la fois, bon gré mal gré lui, sa femme, son fils et sa fille. Pour déjouer ce complot, le marquis se servit de Mirabeau lui-même, en lui faisant croire, grâce à des rapports savamment adultérés, que sa mère et sa sœur projetaient la révélation au public de ses plus hideux forfaits, et que par ce moyen, alors qu’il espérait sortir bientôt de sa geôle de Vincennes, elles l’y replongeraient infailliblement.

Tout le monde sait que Mirabeau avait pris, du fond de cette geôle, sur la police chargée, de l’y étouffer, le plus singulier ascendant. Le premier commis du secret, Boucher, qu’il appelait « son bon ange, » lui donna promptement l’assurance que les mémoires de sa mère ne sortiraient pas de leur cachette, qu’on éloignerait Gruel, par intimidation, des environs de Paris et de la Cour, et que Briançon serait invité à cesser toutes ses intrigues, sous peine d’exil. Bien mieux, sur ces entrefaites, la marquise de Mirabeau lit savoir qu’elle consentait à négocier un arrangement avec le marquis, par l’intermédiaire de son fils prisonnier comme elle ! A ces bonnes nouvelles, Mirabeau triompha, et l’Ami des Hommes ressentit un peu de son allégresse. Mais… il y avait un mais. Tandis que Boucher faisait part à Mirabeau de ces notables avantages, son chef, M. Lenoir, avertissait Mme de Cabris, en lui prescrivant une discrétion absolue, que la mission de ses deux agens à Paris n’avait pris fin de la sorte qu’après avoir eu tout le succès qu’elle s’en était proposé. La famille royale, intéressée à ses malheurs, venait d’instituer un « petit commissariat privé » pour recevoir ses justifications et les confronter aux griefs de