Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bruit de son premier mémoire. Mais Linguet avait alors sur les bras une grosse querelle particulière avec le puissant maréchal de Duras ; il ne se souciait pas d’attaquer le régime des lettres de cachet ; il avait assez à faire d’éviter d’en être sous peu la victime. Il engagea donc Mme de Cabris, lui aussi, à préférer une marche silencieuse, à entrer dans la voie des pourparlers amiables et des accommodemens ; et cette dérobade imprévue détermina Louise à céder. Elle prit pour médiateur un de ses cousins, le jeune comte de Gruel. Mais il y avait un préalable obligé ; Louise devait préparer son père à l’arrivée du négociateur par une lettre de soumission formelle. Elle se contraignit aussi à l’écrire. La réponse du marquis, en date du 25 avril 1780, fut une rebuffade dure de ton, mais si verbeuse que ce verbiage l’affaiblissait en donnant prétexte à une réplique. Louise ne manqua pas de la lui faire (1er juin 1780). Au total, son père lui reprochait d’avoir été mauvaise fille, mauvaise épouse, mauvaise mère, mauvaise sœur. Elle anéantit un à un ces griefs, à l’exception du dernier, le principal, au sujet duquel elle se contenait provisoirement à dire :


Quant à l’acquittement de mes devoirs de sœur, je n’ai qu’un mot à répondre, le voici : je suis instruite des propos qui courent dans le monde et des prétendues preuves dont on les appuie. Au moment où j’ai reçu la lettre du 25 avril dernier dont vous avez honoré votre fille, j’allais déposer chez un notaire et me faire donner expédition en forme probante des pièces originales et irrécusables que j’ai à produire sur tous les points possibles concernant M. le comte de Mirabeau, pour tous les temps et principalement pour l’année 1776, annonçant en même temps les motifs qui me forçaient à faire ce dépôt humiliant. Aujourd’hui que mon père daigne devenir mon juge, j’ai l’honneur de vous demander la permission de vous faire présenter ces pièces, qui portent avec elles une conviction irrésistible, par le comte de Gruel, syndic de la noblesse du Haut-Dauphiné, » notre très proche parent…


Cette tournure adroite et ferme embarrassa le marquis. Il ne voulait ni d’un adoucissement du sort de Rongelime, ni de ses justifications qui auraient émoussé, brisé, l’arme dont il ne frappait à coup sûr qu’à la condition de la tenir cachée et de s’en servir dans l’ombre. Il se reprocha d’avoir donné lieu à cette réplique par sa propre réponse :


Ce fut une bêtise, écrivit-il au bailli (29 juillet 1780), car elle s’en sert connue d’un programme pour m’écrire le plus impudent et le plus insolent manifeste, d’une longueur énorme pour une lettre, mais qui est